Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF5 à Montville (Seine-Maritime) le 19 août 1845

Le 19 août 1845, en début d'après-midi, une tornade meurtrière d'intensité extrême (EF5) dévaste la vallée industrielle de Malaunay et de Montville (Seine-Maritime) et provoque la mort de 75 personnes, écrasées par l'effondrement de plusieurs filatures. A ce jour, il s'agit de la tornade la plus meurtrière recensée en France.
 
La tornade de Montville figure parmi les deux seuls cas recensés d'intensité EF5 en France, avec celui de Palluel (Pas-de-Calais) survenu le 24 juin 1967.

Egalement, la tornade de Montville s'inscrit dans un outbreak de tornades remarquable (épisode de tornades groupées) qui totalise au moins 3 cas pour la journée du 19 août 1845, dont la tornade EF1 d'Avosnes (Côte-d'Or) et la tornade EF3 de Villey-sur-Tille (Côte-d'Or).
 

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade de Montville (76) du 19 août 1845intensité maximale : EF5, soit des vents estimés supérieurs à 320 km/h
* distance parcourue : 15 kilomètres (distance minimale certaine)
* largeur moyenne : 300 mètres (jusqu'à 500 mètres)

* communes traversées : SAINT-JEAN-DU-CARDONNAY, LE HOULME, MALAUNAY, ESLETTES, MONTVILLE, ANCEAUMEVILLE, CLÈRES, GRUGNY
* département touché : SEINE-MARITIME (76)
* altitude moyenne du terrain : 100 mètres
* type de terrain : territoires artificialisés ; territoires agricoles ; forêts et milieux semi-naturels

* principaux dégâts : des milliers d'arbres de toutes sortes et de toutes tailles déracinés, arrachés, dépouillés ; un arbre gigantesque emmené dans les airs à plus de 40 mètres de hauteur et emporté très loin ; maisons écroulées ou détruites ; trois filatures, solidement bâties, anéanties ; débris de toute sorte retrouvés à 30 kilomètres de Montville
 
NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée. Cette version de l'échelle EF, mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen.
 

Parcours de la tornade

 
    
© Keraunos (fond de carte : carte de l'état major pour la période 1820-1866)
* * *                    
 
L'illustration suivante présente la trajectoire du phénomène, plus particulièrement lorsqu'il s'abat sur les trois filatures de Malaunay et de Montville (d'après une illustration d'époque de 1845) :
 
 

Une tornade meurtrière d'une intensité exceptionnelle

La tornade de Montville du 19 août 1845 s'est manifestée vers 13 heures, en empruntant le sillon de la vallée du Cailly, après s'être formée aux abords du Houlme. Le phénomène, qui a été vu, est décrit comme un "immense cône renversé filant à vive allure, et dont la base rasait la terre et se confondait avec le reste d'une masse nuageuse compacte".

Rapidement, la tornade acquiert une force inouïe et les dégâts qu'elle provoque dépassent l'imagination. Parmi les dommages habituels causés aux habitations et à la végétation, la tornade anéantit les trois filatures Neveu (Malaunay), Mare Frères (Montville) et Picquot-Deschamps (Montville) dans lesquelles 360 ouvriers travaillent. Les bâtiments, dont certains à l'état neuf, sont rayés de la carte. Concernant la filature Neveu, il s'agissait d'un bâtiment solide de 4 étages. Celle exploitée par Picquot-Deschamps, neuve et bâtie en briques, était d'une solidité que l'on "osait qualifier d'exagérée"

Plusieurs habitations sont également détruites, des milliers d'arbres sont brisés net ou dépouillés, certains même emmenés entiers à des distances considérables. Enfin, des débris sont retrouvés à 30 kilomètres de Montville, dans le secteur d'Auffay et de Torcy-le-Grand, ce qui témoigne de la puissance de la tornade et de la structure convective qui l'a générée. 

Le bilan de cette catastrophe est très lourd : on recense au moins 75 morts, et un nombre considérable de blessés dont un certain nombre a dû périr dans les jours qui ont suivi la tornade. 

Compte tenu de l'ampleur des dégâts observés sur les filatures, et des objets lourds projetés à des distances remarquables, l'intensité maximale EF5 est retenue sur cette tornade, dont le sillon formé par la vallée du Cailly a dû vraisemblablement influencer le comportement. Sans l'industrialisation de la vallée, la tornade de Montville, bien que d'une intensité remarquable, n'aurait pas connu la médiatisation exceptionnelle dont elle fut finalement l'objet.
 

Trois filatures anéanties

KERAUNOS a acquis des illustrations d'époque relatives à la tornade de Montville, parmi lesquelles les deux qui suivent.
 
Cette première illustration peut certes être qualifiée de "vue d'artiste", mais elle présente l'intérêt de confirmer les dimensions imposantes de la fabrique Neveu, située en arrière-plan. Ce bâtiment particulièrement solide a été presque entièrement détruit.
 
Tornade de Montville du 19 août 1845. Passage de la tornade sur la fabrique Neveu. © Keraunos
 
 
Cette seconde illustration apporte des informations extrêmement intéressantes sur l'état de la filature Picquot-Deschamps après le passage de la tornade. Ce bâtiment avait impressionné à l'époque de sa construction par sa solidité. Ceci permet de juger de manière précise de l'intensité du phénomène :
 
Tornade de Montville du 19 août 1845. Dommages sur les bâtiments de la filature Picquot-Deschamps. © Keraunos
 
 

Discussion sur la trajectoire et la largeur retenues

Plusieurs études réalisées au lendemain de la catastrophe, et même plusieurs décennies plus tard, apportent des conclusions assez contradictoires sur le parcours réel de la tornade. Cette situation est d'autant plus complexe qu'elle fait référence à un cas ancien pour lequel les investigations scientifiques étaient encore émergentes.

Une enquête de terrain sérieuse, publiée dans l'annuaire météorologique de 1849, semble apporter la conclusion la plus raisonnable sur la trajectoire parcourue. Le phénomène aurait pris naissance à proximité de la vallée du Cailly, entre Saint-Jean-du-Cardonnay et le Houlme, avant de s'évanouir dans la commune de Grugny, au nord de Clères, soit quinze kilomètres en tout. Au-delà de cette commune, les dégâts s'évasent considérablement sur un parcours de vingt kilomètres, sans qu'il soit possible de définir un couloir délimité avec des dégâts convergents.

Cette conclusion considère donc avec prudence les observations faites par des mariniers qui auraient vu une trombe se former au-dessus de la Seine, au pied des falaises de Canteleu. Cette observation, si elle est crédible (des dégâts ont été reportés à Canteleu et à Notre-Dame-de-Bondeville), ne permet toutefois pas de certifier qu'il s'agisse du même phénomène. Nous avons donc maintenu à Saint-Jean-du-Cardonnay le point de départ de la tornade. 

Concernant la largeur, plusieurs observations aboutissent à des largeurs variant entre 10 mètres et 500 mètres. L'hypothèse la plus raisonnable est de considérer que l'influence du tourbillon, qui a enveloppé la vallée du Cailly sur l'essentiel de la trajectoire, a couvert un espace de 300 mètres de largeur en moyenne, sachant que le phénomène semble s'être fortement rétréci vers Clères.

Le document ci-dessous, tiré de l'ouvrage "Trombes et Cyclones" (Zurcher et Margollé, 1876), dont un exemplaire a été acquis par Keraunos, montre la trajectoire de la tornade, telle qu'envisagée à l'époque. La plage de couleur rouge correspond à la trajectoire qui est retenue à ce jour :
 
                                                              

Contexte météorologique du 19 août 1845

Peu d'informations météorologiques sont disponibles pour l'année 1845, dans la mesure où le réseau d'observations était encore très lacunaire à cette époque.
 
Néanmoins, l'analyse des relevés effectués en France, en Belgique et en Grande-Bretagne permet d'établir que le mois d'août 1845 est frais et dépressionnaire sur toute l'Europe de l'ouest durant les deux premières décades. La troisième décade présente des températures de saison et des conditions plus anticycloniques.
 
La journée du 19 août 1845 elle-même présente des températures qui sont partout inférieures aux normales de saison sur la moitié nord de la France ainsi qu'en Belgique.
 
Les relevés de température effectués à l'époque à Rouen, qui est situé à quelques kilomètres à peine de Montville, confirment ces conditions durablement fraîches. Le 19 août, jour de la tornade, la température minimale est de 12,4°C et la température maximale ne dépasse pas 21,2°C.
 
STATION METEOROLOGIQUE DE ROUEN
Températures minimales (Tn) et maximales (Tx) quotidiennes (°C) - Période du 1er au 31 août 1845
 

Si cette journée du 19 août 1845 n'est manifestement pas chaude, les témoins de l'époque laissent entendre que le temps était néanmoins ressenti comme lourd. Il est donc probable que les points de rosée étaient élevés malgré ces températures à peine supérieures à 20°C.
 
Par ailleurs, le ciel est signalé comme peu nuageux le matin dans la région de Rouen, avec une pression réduite au niveau de la mer de 1009,2 hPa.
 
Vers 12 heures, le ciel se charge d'épais nuages, poussés par un vent de sud que les témoignages indiquent comme fort en altitude. La pression atmosphérique baisse fortement.
 
Vers 13 heures, peu de temps avant la formation de la tornade, la pression accentue sa chute pour s'abaisser jusqu'à 986,6 hPa, soit près de 23 hPa de moins que le matin, ce qui est considérable. Dans le même temps, le vent tourne au secteur sud-ouest.
 
A 14 heures, la tornade est passée. La pression remonte déjà à 992,2 hPa.
 
L'évolution de la pression atmosphérique au cours de cette journée est ainsi très significative, et ce véritable creux barométrique ressort de manière très nette si l'on considère les relevés effectués chaque jour à 14 heures à la station de Rouen durant le mois d'août 1845 :
 
 
STATION METEOROLOGIQUE DE ROUEN
Pression réduite au niveau de la mer (Pmer) relevée à 14 heures (hPa) - Période du 1er au 31 août 1845
 
 
Il est en somme probable que cette tornade se soit formée dans un contexte très dynamique, marqué par des vents très forts en altitude et par le creusement d'une dépression de méso-échelle sur la Normandie.

En effet, les autres relevés barométriques disponibles pour cette journée en amont dans le flux, donc dans le sud et l'ouest de la France, ne font pas état d'un creux dépressionnaire très significatif. Ainsi par exemple, à l'heure de la tornade, la pression relevée en Charente-Maritime, à Rochefort, est de 1007,6 hPa, soit 20 hPa de plus qu'à Rouen.

Ceci confirme le caractère très resserré de cette dépression normande ainsi que son creusement probablement rapide entre le nord des Pays-de-la-Loire et la Haute-Normandie. Il s'agit vraisemblablement là de l'un des principaux éléments déclencheurs de cette tornade d'intensité extrême.
 
La cellule orageuse qui a donné naissance à la tornade de Montville s'est ainsi vraisemblablement développée dans un contexte très cisaillé et très dynamique, rendu instable par une forte disponibilité en air humide près du sol.

Outbreak français et autres phénomènes venteux destructeurs en Europe

La tornade EF5 de Montville s’accompagne d’autres phénomènes atmosphériques plus ou moins violents qui ont touché plusieurs territoires d’Europe le 19 août. En France, à Avosnes et à Villey-sur-Tille (Côte-d'Or), on signale deux autres tornades respectivement d'intensité EF1 et EF3 : il s'agit donc d'un outbreak de tornades pour la journée du 19 août 1845 a minima sur notre territoire.

Selon les Mémoires de l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, un orage, suivi d'une violente tornade, a également renversé des maisons et déraciné des arbres à Zevenbergen (Pays-Bas). Des dégâts sont également reportés du côté de Trèves (Allemagne).

La journée du 19 août semble donc présenter, à grande échelle, une situation atmosphérique propice à des développements orageux parfois sévères et à l’origine de phénomènes venteux destructeurs.  
 

Témoignage

Parmi les très nombreuses sources disponibles sur ce cas, voici l'extrait d'un témoignage qui résume l'ampleur du désastre de Montville :
 
« Un affreux malheur est arrivé dans la vallée de Malaunay. Vous en avez sans doute la nouvelle par les journaux de Rouen en même temps que par cette lettre ; mais ce serait à n'y pas croire si l'on n'en recevait la confirmation de différents côtés.

Trois grandes filatures ont été entièrement rasées, et leurs débris lancés au loin par une trombe. Les plus forts arbres du voisinage ont été déracinés ou coupés en deux par le vent, et également lancés à une grande distance. Chaque filature ne forme qu'un monceau de ruines, où les débris des constructions, entassés avec les métiers de toutes sortes, ont enseveli une grande partie des malheureux ouvriers occupés alors au travail. Nous sommes restés plusieurs heures au milieu de ces ruines qu'une masse d'ouvriers triaient et déblayaient pour en retirer les infortunées victimes blessées ou mortes. Dès qu'il se présentait un vide formé par la rencontre des décombres, on s'y glissait et l'on écoutait pour chercher à saisir le souffle de quelque malheureux enseveli. On ne savait pas encore hier soir quel serait le nombre des morts, car on n'avait pas terminé les fouilles. Une partie des ouvriers s'est trouvée protégée sous les espèces de voûtes formées de distance en distance par la chute des matériaux, et a heureusement pu s'échapper."

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