Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF4 à Levier (Doubs) le 2 juin 1982

Le 2 juin 1982, peu après 14 heures locales, une tornade de très forte intensité (EF4) dévaste tout l'est de la commune de Levier (Doubs). Les dégâts sont chiffrés à près de 20 millions de Francs. La tornade, qui a pu être photographiée durant sa phase de dissipation, ne blesse légèrement que huit personnes.
 
Une tornade d'une telle intensité n'avait pas été observée en France depuis l'outbreak des 24 juin et 25 juin 1967, marqué par une tornade EF5 à Palluel (Pas-de-Calais), une tornade EF4 à Pommereuil (Nord) et plusieurs autres cas d'intensité significative à l'échelle européenne. 
 

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade de Levier (Doubs) du 2 juin 1982* intensité maximale : EF4, soit des vents estimés de 270 km/h à 320 km/h
* distance parcourue : 2,5 kilomètres (distance minimale certaine)
* largeur moyenne : 200 mètres (jusqu'à 350 mètres)

* commune traversée : LEVIER (rue de la Nue, rue de Pontarlier, cimetière, zone industrielle, prés des Chênes, prés Mirey)
* département : DOUBS (25)
* altitude moyenne du terrain : 720 mètres
* type de terrain : territoires artificialisés, territoires agricoles, forêts et milieux semi-naturels

* principaux dégâts : nombreuses toitures d'habitation arrachées ; cinq maisons éventrées ; une ferme effondrée ; garage détruit ; hangars industriels entièrement soufflés ; nombreux arbres brisés net à ras du sol ou dépouillés (conifères essentiellement) ; une scierie rasée ; pylônes électriques en béton brisés ou éclatés, dont seuls subsistaient les tiges métalliques ; vaches happées par le tourbillon et tuées sur le coup ; véhicules déplacés ; tombes du cimetières bouleversées ; projections de débris à très grande distance (poutres, panneaux, tuiles)
 
NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée. Cette version de l'échelle EF, mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen.
 

Parcours de la tornade

 
© Keraunos (fond de carte : Géoportail)
 
Cette trajectoire approximative a été établie en fonction des informations disponibles (témoignages, articles de presse, reconstitution du flux pour la journée du 2 juin 1982).
 

Près de 20 millions de Francs de dégâts en l'espace de quelques secondes

La tornade EF4 de Levier, qui a produit des dégâts considérables sur une superficie plutôt restreinte, constitue l'un des événements venteux les plus violents du XXe siècle en France. Le bilan matériel est lourd : cinq maisons individuelles et une ferme en partie détruites, une scierie et plusieurs bâtiments industriels rasés ou très endommagés, des pylônes électriques en béton brisés, de nombreux arbres abattus, plusieurs véhicules déplacés. L'importance du sinistre conduit le Préfet de l'époque à déclencher un plan O.R.S.E.C. Selon les estimations effectuées quelques jours après la tornade, les dégâts se chiffrent à près de 20 millions de Francs.

Le phénomène a été vu par un grand nombre de témoins : "J'ai vu soudain monter des tuiles, de la paille, des bouts de bois dans le ciel. C'était comme un champignon de plus en plus noir qui se déplaçait, avec un bruit d'hélicoptère. J'ai eu peur. Je me suis arrêté." (L'Est Républicain du 3 juin 1982).

Miraculeusement, la tornade n'a blessé légèrement que huit personnes. Un rescapé, dont la ferme s'est totalement effondrée alors qu'il se trouvait à l'intérieur, témoigne : "Je n'ai pas eu le temps de réfléchir, tout autour de moi tombait. Je savais qu'il y avait une grosse poutre. En un clin d’œil, j'étais dessous. Elle m'a protégé. Les bêtes : toutes celles qui étaient là, s'en sont tirées. Je ne sais pas comment." (L'Est Républicain du 3 juin 1982). En revanche, plusieurs vaches ont été happées par le tourbillon. Deux d'entre elles sont tuées sur le coup. Le témoignage d'un agriculteur, victime de la tornade, est tout à fait édifiant : "J’ai vu mes vaches qui étaient dans la pâture, qui se sont mises à tourner en rond, et celles qui étaient en bordure être soulevées, ce qui correspond tout à fait à un phénomène de tornade."

La tornade de Levier a pu être photographiée durant sa phase de dissipation, lorsqu'elle s'évacue vers le nord-est en direction du village de Septfontaines:


© Est Républicain (Amis du Musée de Levier)
 
En l'absence d'enquête de terrain, la trajectoire retenue pour cette tornade est de 2,5 kilomètres. Elle pourrait être supérieure et se prolonger dans des parcelles de forêt en direction de Septfontaines. Les premiers dégâts observés au lendemain du phénomène se concentrent entre les hauteurs de Levier (ferme de Lauteret), la route de Pontarlier et le cimetière, puis la zone industrielle, enfin le bois de Levier au niveau des prés Mirey. Si la largeur de la tornade est fréquemment comprise entre 100 mètres et 350 mètres en moyenne, les dégâts extrêmes sont en revanche concentrés au sein d'un couloir étroit. 
 

Une scierie rasée et des vaches happées par le tourbillon

Louis Philippe, Conseiller Général du Doubs en 1982, témoigne : « C’était une chaude journée de juin. Le temps était à l’orage. Et effectivement, on a pu constater que la luminosité était marquée par des nuages sombres. Mais cela ne nous affolait pas […]. J’étais chez moi et j’étais sur le point de partir à Besançon […] ; je me suis précipité à la fenêtre quand j’ai vu cet assombrissement arriver (mais c’était surtout le bruit  qui m’avait interpellé). Je […] pensais qu’il y avait un hélicoptère qui passait : c’était un roulement sourd et durable, mais qui a cessé assez rapidement. Etant à la fenêtre depuis l’étage, j’ai vu dans le ciel tout un tas d’éléments qui virevoltaient : des morceaux de poutres, des panneaux  qui s’élevaient dans le ciel et qui avaient l’air de tournoyer. Tout à coup, tout s’est arrêté et la sirène s’est mise à sonner. Comme cela durait on s’est dit : « il y a quelque chose d’exceptionnel ». Alors j’ai décidé de […] me rendre sur la zone sinistrée, du moins là où l’on avait vu ces éléments qui s’en allaient dans le ciel, et lorsque je suis arrivé vers la sortie du village (côté Pontarlier), il y avait déjà pas mal de monde dans la rue. Mais il y avait surtout d’impressionnants désastres qui pouvaient nous frapper : arbres cassés, poteaux électriques et téléphoniques abattus, lignes électriques coupées, tuiles un peu partout sur la route… C’était impressionnant. Et surtout, en avançant un peu plus en avant, on s’est aperçus qu’il y avait des toitures qui avaient complètement disparu ou qui étaient tombées au sol, et on avait tout de suite compris que le drame avait sévi sur toute cette zone du village. [...] J’ai aussi constaté la mort de deux vaches qui étaient dans le pâturage, après la zone d’activité, et qui avaient été transportées jusqu’à la limite des buissons ; elles étaient mortes l’une et l’autre »

Ce témoignage confirme la puissance de la tornade qui a été en mesure de déplacer plusieurs véhicules, de happer des vaches vivantes et d'anéantir plusieurs bâtiments industriels. Les photographies suivantes, tirées d'un documentaire réalisé par les Amis du musée de Levier, sont spectaculaires :

A

Coupure de presse

L'Est Républicain revient longuement sur la tornade de Levier. Voici un extrait de l'édition du 3 juin 1982:

Une violente tornade s'est abattue hier après-midi sur la partie nord de la commune de Levier (Doubs), près de Pontarlier, faisant huit blessés dont deux grièvement atteints et détruisant partiellement ou totalement une vingtaine de maisons, une scierie, ainsi que l'usine "FEG". Les pompiers venus de toute la région, de Besançon, Pontarlier, Montbéliard et Baume-les-Dames ont secouru les habitants.

Cette tornade brutale d'une extrême violence qui, en quelques minutes a détruit entièrement cinq maisons, une ferme, une scierie, a arraché le toit d'une usine toute neuve, arraché les arbres du cimetière, détruit un garage, c'est une catastrophe pour cette localité de 1600 habitants, une vision comme celle d'un bombardement. « Je suis sûr qu'il était 14h07. Je venais de regarder ma montre », affirme M. Ponce « car je devais partir à Besançon. » Il se trouvait à côté de l'usine FEG qui a ouvert ses portes le 1er mars de cette année. « J'ai entendu un fort ronronnement et j'ai vu ce panache qui arrivait. Il y avait des tuiles, des poutres, je ne sais plus. C'est un grondement incroyable. Je ne sais même plus ce que j'ai fait. » Dans l'usine FEG, vingt-cinq ouvriers travaillaient. « Nous étions aux préséries, explique le directeur, M. Rollet. L'usine a été terminée en février. Elle devait employer cent personnes. Nous fabriquons des freins à disques. Oui, j'ai vu arriver la tornade mais voir, c'est tout ce que je pouvais faire. Les portes coulissantes de l'usine se sont soudain soulevées et tout le toit est parti", explique l'un des ouvriers M. Julien Vallet. « On s'est sauvé dans le couloir, mais je n'avais plus de jambe. »

Et M. Prince d'ajouter : « Avec mon patron, juste avant la tornade, on a entendu tout à coup les oiseaux se mettre à piailler. Le temps que l'on se pose la question, la tornade était là. »

Analyse de la situation météorologique

La journée du 2 juin 1982 est marquée par la présence de hauts géopotentiels sur l'Europe Centrale et par l'approche d'un thalweg d'altitude sur le proche Atlantique. C'est ainsi un flux de sud-est qui domine sur l'est de la France, modérément rapide et globalement peu dynamique. Une masse d'air chaud, dotée d'une forte instabilité latente, remonte de Méditerranée jusqu'en Allemagne au sein de ce flux.


Les relevés effectués à l'époque montrent qu'un ciel chaotique pré-orageux est en place sur l'ensemble de la Franche-Comté et de la Bourgogne dès la fin de matinée (carte ci-dessous à gauche). L'humidité est forte, avec des points de rosée entre 15 et 17°C pour des températures voisines de 20°C. La carte de droite montre ensuite la situation au sol à 14h00 locales, soit à l'heure de la tornade. On note un marais barométrique à tendance anticyclonique. En Franche-Comté, les vents sont faibles, avec une tendance convergente sur le flanc nord-ouest du relief du Jura. A Besançon, un orage est signalé, avec une température de 24°C et un point de rosée de 16°C.


De fait, une cellule orageuse isolée s'est initiée deux heures plus tôt, à 12 heures locales, dans les environs de Clairvaux-les-Lacs (département du Jura). L'analyse des images satellite montre qu'elle prend de l'ampleur vers 13h00 locales et développe peu après un moteur droit. Ce dernier remonte vers le nord-est pour atteindre Levier aux environs de 14h00 locales. Même s'il n'est pas possible d'être catégorique en l'absence d'images radar, il est vraisemblable que le scénario ayant donné naissance à la tornade soit donc un split sur le département du Jura, avec un moteur gauche ayant pris la direction de Beaune, et un moteur droit à déplacement plus rapide et tornadique en direction de Levier. Les deux images satellite ci-dessous présentent la situation au moment où la tornade était en activité :


Le
radiosondage le plus proche de la tornade est celui réalisé à 14h00 locales à Payerne (Suisse), soit à environ 50 km à l'est de Levier. On note un profil instable mais assez sec, caractérisé par des cisaillements modérés (17 m/s sur 0-6 km) et une faible hélicité relative (74 m²/s² sur 0-3 km). En somme, ce profil vertical présente un potentiel orageux sérieux, sans comporter toutefois de signal d'alerte spécifique pour une situation supercellulaire et tornadique sévère.


Néanmoins, ce profil, une fois corrigé avec les données au sol mesurées à Besançon, présente une instabilité sensiblement plus forte (MUCAPE de 2.823 J/kg, MULI de -8 K) et une hélicité relative plus significative (SRH 0-1 km de 60 m²/s²). Il n'empêche que la situation ne revêt pas de caractère exceptionnel sur la base de ces seuls éléments. Il est dès lors probable que la genèse de cette supercellule tornadique ait été davantage liée à des mécanismes de méso-échelle associés au relief du Jura, plutôt qu'à une configuration synoptique remarquable.

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