Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF3 à la Charité-sur-Loire (Nièvre) le 17 août 1986

Le 17 août 1986, vers 18h20 locales, une tornade meurtrière de forte intensité (EF3) dévaste dix communes des départements limitrophes du Cher et de la Nièvre, dont la Charité-sur-Loire qui est particulièrement sinistrée. Le phénomène, qui a fait l'objet d'une importante médiatisation, provoque des dommages sur une trajectoire de plus de 20 kilomètres. Outre les dégâts matériels, le bilan humain est lourd : 1 mort et une trentaine de blessés
 
La tornade de la Charité-sur-Loire s'inscrit dans un outbreak de tornades (épisode de tornades groupées) qui totalise 2 cas pour la journée du 17 août 1986, dont la tornade EF1 de Jargeau (Loiret) survenue deux heures plus tard.
 

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade de la Charité-sur-Loire (58) du 17 août 1986* intensité maximale : EF3, soit des vents estimés entre 220 km/h et 270 km/h
* distance parcourue : 22 kilomètres
* largeur moyenne : 500 mètres

* communes traversées : COUY (la Vauvise, Bougnoud, Bion), GARIGNY (Turcy), CHARENTONNAY (Chevroux), JUSSY-LE-CHAUDRIER (les Culées), SANCERGUES (le Mousseau), JUSSY-LE-CHAUDRIER (les Impôts), SAINT-MARTIN-DES-CHAMPS (Bois des Grands Ports), LA CHAPELLE-MONTLINARD (Bois de la Loge, le Bourg), LA CHARITÉ-SUR-LOIRE (la Loire, centre, PA des Bertranges), VARENNES-LÈS-NARCY
* départements : CHER (18), NIEVRE (58)
* altitude moyenne du terrain : 170 mètres
* type de terrain : territoires artificialisés, territoires agricoles, forêts et milieux semi-naturels

* principaux dégâts : abattis complet sur plusieurs parcelles de forêts (feuillus et conifères); arbres adultes et feuillus (hors zone de forêt) dépouillés; toitures d'habitations arrachées; 20 maisons éventrées avec écroulement des murs extérieurs; hangars soufflés ou déplacés entiers par le vent; une partie du toit d'une piscine aspiré et projeté 100 m plus loin sur le haut de la façade d'un HLM; voitures retournées; caravanes pulvérisées; poteaux télégraphiques et électriques abattus; pylônes de 220 000 Volts abattus; éoliennes tordues; pan de mur de l'église de la Charité effondré; silos d'une coopérative agricole broyés; structures de plusieurs toitures d'entreprises enlevées ou soulevées; un hangar métallique déplacé de 10 mètres; projections à très grande distance
 
NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée (English version) . Cette version de l'échelle EF, élaborée et mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen et permet ainsi une notation précise des tornades, valable autant pour les tornades contemporaines que pour les tornades du passé, et homogène internationalement.
 

Trajectoire de la tornade

 
© Keraunos (fond de carte : Géoportail)
 

Silo agricole broyé, arbres dépouillés et voitures retournées

La tornade de la Charité-sur-Loire du 17 août 1986 a pu être identifiée à l'appui d'une enquête de terrain et d'une reconnaissance aérienne effectuées par Jean Dessens au lendemain de l'événement. L'analyse de ce cas s'appuie également sur une documentation abondante issue de la presse locale (le Berry, la Nouvelle République du Centre-Ouest). Les informations recueillies mettent en évidence un axe de dégâts convergents d'une trajectoire totale de 22 kilomètres, selon un sens de déplacement du Sud-Ouest vers le Nord-Est (230°). Parti de Couy, à 30 kilomètres à l'Est de Bourges, le phénomène traverse ensuite neuf autres communes du Cher et de la Nièvre, avant de se dissiper au sud de Varennes-lès-Narcy où la largeur du couloir de dégâts atteint jusqu'à 1 kilomètre.

Vues aériennes comparatives (1983 et 1986) de la ferme Bougnoud et du bois du Gratte-Chien (Couy), avant et après la tornade - Les toits de la ferme n'ont pas résisté ; des parcelles du bois sont détruites, ainsi qu'une haie d'arbres dont les branches sont projetées vers le nord :  


Vues aériennes comparatives (1983 et 1986) du Bourg et du canal latéral de la Loire (la Chapelle-Montlinard), avant et après la tornade - La dévastation est totale sur une bande large de 500 mètres : arbres dépouillés ou déracinés (principalement vers l'ouest au nord du couloir), toits emportés, silos broyés : 


Selon toute vraisemblance, le phénomène s'est déroulé au sein d'une supercellule de type HP qui produit des vents destructeurs et des grêlons géants sur un parcours de plus de 50 kilomètres entre l'est de Bourges (Cher) et l'ouest de la Nièvre (voir l'analyse de la situation météorologique). Les principales communes touchées sont signalées par un point orange sur la carte ci-après (la trajectoire de la tornade est matérialisée par une bande rouge) : 

© Keraunos (fond de carte : Google)
 
Le bilan de la tornade est très lourd : 1 mort, plus de 30 blessées dont 3 dans un état critique, et des dizaines de millions de Francs de dégâts non encore évalués précisément à la date du 19 août. Rien que dans le département du Cher, le groupement de gendarmerie indique que 549 habitations sont sinistrées par le vent ou la grêle. A ce bilan, doivent s'ajouter les deux territoires nivernais de la Charité-sur-Loire et de Varennes-lès-Narcy. 
 
Les récits de témoins, qui illustrent la violence du phénomène, évoquent un "bruit semblable à celui du chemin de fer ou de vague d'avions". Tous décrivent une sorte de "brouillard", de "poussière jaune", d'éléments tourbillonnants observés "à ras de terre", mais le phénomène n'est pas décrit en tant que tel car il n'est pas visible à distance. Fait remarquable, la tornade survient à l'issue d'une chute de "blocs de glace" et de grêlons "gros comme le poing", d'un diamètre de 10 cm pour les plus gros. A Farges-en-Septaine (à environ 15 kilomètres en amont du début de la tornade), l'un d'eux pèse jusqu'à 300 grammes!
 
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Dans toute la campagne traversée par la tornade, les mêmes dommages se répètent avec une intensité remarquable. Des habitations sont dépourvues de toitures, quand elles ne sont pas en partie écroulées. Des parcelles entières de forêts sont rasées et des poteaux électriques arrachés. Des débris sont déposés tout le long de la trajectoire qui peut être suivie à la trace. Mais c'est sans conteste de part et d'autre des rives de la Loire (dont les eaux se sont soulevées pendant la passage du phénomène) que les dommages sont les plus spectaculaires, car la tornade traverse une coopérative agricole, un camping municipal, une agglomération entière et une zone industrielle. A la Chapelle-Montlinard, le long du canal latéral à la Loire, le tourbillon dévaste la coopérative Agri-Cher, dont l'un des deux silos est littéralement broyé, tandis que le vent sectionne des poteaux électriques et déchiquète tous les arbres plantés le long du canal. En arrivant à la Charité-sur-Loire, la tornade parcourt d'abord le camping municipal où des caravanes sont emportées et pulvérisées, des voitures retournées, des arbres arrachés. Une femme est retrouvée morte et 3 autres campeurs blessés sont dans un état critique. Le tourbillon enveloppe ensuite toute la vieille ville avant de traverser une partie du parc d'activité des Bertranges. Des dizaines de toitures sont arrachées, des bâtiments communaux sont endommagés et un pan de mur de l'église Notre-Dame s'écrase sur une voiture. La circulation est interrompue le long de la N151 en raison de l'effondrement d'un pylône à haute tension.
 
Les dégâts de la tornade de la Charité-sur-Loire relèvent d'une intensité maximale EF3, avec des vents estimés autour de 250 km/h pour la partie la plus endommagée. Les illustrations ci-dessous témoignent de la force du vent :

© Jean Dessens - Reproduction interdite
 
© Jean Dessens - Reproduction interdite / Le Journal du Centre
 

Analyse de la situation météorologique

La tornade de la Charité-sur-Loire s'est formée dans un contexte simultanément très instable et fortement cisaillé. Ce jour-là, un thalweg d'altitude est en position sur le proche Atlantique, organisé autour d'un cut-off situé au large de la péninsule ibérique. C'est ce que mettent en évidence les réanalyses ci-dessous, qui présentent la situation du 17 août 1986 en milieu de journée. On note que la France se situe sous une branche de courant-jet, avec une ondulation qui s'amorce en début d'après-midi par les côtes vendéennes. Cette ondulation, liée à la constitution d'un thalweg secondaire, va prendre de l'ampleur au fil de l'après-midi et constituer une configuration de sortie gauche / entrée droite de jet sur les régions centrales. La diffluence induite va assurer un contexte synoptique propice à la convection entre Poitou et sud Bourgogne.
 
 
 
 
Dans le même temps, au sol, une dépression est également calée au large du Portugal, et un minimum secondaire se creuse en soirée du 16 août aux abords du Pays Basque. Dans la matinée du 17 août, ce minimum remonte le long des côtes d'Aquitaine pour se positionner sur le Poitou à la mi-journée. Il s'étire alors dans le flux en direction du Cher et de la Nièvre, où un thalweg de surface bien resserré se constitue en cours d'après-midi. Ce creux secondaire pilote une onde de hautes valeurs de thêta'w (air chaud et humide) qui remonte de Méditerranée pour venir buter sur de l'air plus frais et plus sec qui descend dans le même temps par le nord de la France. Il s'ensuit la constitution d'un front ondulant étiré de la Bretagne à l'Alsace. C'est au sud de la zone de contact, soit entre Vendée et Franche-Comté, que la situation va devenir extrêmement orageuse en cours d'après-midi.
 


 
Afin d'analyser plus en détail les mécanismes à l'oeuvre, le modèle WRF-ARW a été utilisé en configuration "reforecast" à haute résolution (3 km) ; cette technique a permis de travailler à des échelles très fines et de reconstituer cet épisode du passé dans des conditions proches de la prévision opérationnelle actuelle. On retrouve bien un axe de forte convergence au sud immédiat du front ondulant, notamment entre Inde, Cher, Nièvre et Côte-d'Or (ci-dessous à gauche). Il correspond au thalweg de surface, dans lequel plusieurs mésodépressions vont se creuser simultanément. Cette zone est fortement cisaillée et un vaste réservoir de forte SRH se constitue sur les mêmes régions, avec des valeurs qui dépassent parfois 400 m²/s² sur 0-3 km (ci-dessous à droite).
 
 
 
Cette zone de forts cisaillements est également très fortement instable : les afflux d'air chaud et humide en basses couches génèrent des valeurs de MUCAPE qui excèdent localement 3500 J/kg en début d'après-midi entre Deux-Sèvres, Nièvre et Côte-d'Or, avec des indices de soulèvement extrêmement négatifs (MULI de -10 à -11 K) :
 
 
 
Cet axe concentre ainsi un potentiel orageux sévère, propice aux développements supercellulaires. De fait, une activité convective est déjà présente dès la fin de matinée à proximité immédiate du front ondulant, comme en témoigne l'image satellite du 17 août 1986 à 12h TU. On note le discret enroulement nuageux aux abords du Poitou, lié au minimum secondaire, et les développements convectifs plus au nord, près de la limite frontale. La zone qui sera frappée par les orages et la tornade quelques heures plus tard est encore sous un ciel peu nuageux :
 
 
C'est dans cette zone encore peu nuageuse, sujette à un fort échauffement diurne (28 à 31°C sous abri), que la convection va devenir violente dans l'après-midi. Le modèle WRF-ARW suggère ainsi des déclenchements convectifs sévères le long d'un axe Vienne - Côte-d'Or, alimentés par le sud dans l'air le plus chaud et le plus humide, et se déplaçant de l'ouest/sud-ouest vers l'est/nord-est. Il produit plusieurs supercellules, avec des caractéristiques particulièrement virulentes pour l'une d'elles qu'il fait évoler du nord de Châteauroux jusqu'à Bourges puis aux environs de la Charité-sur-Loire. La simulation est donc instructive car très proche de la réalité, même si les déclenchements de convection générés par le modèle sont plus hâtifs que dans la réalité. On retrouve ici tous les éléments qui permettent de ranger cet épisode parmi les configurations supercellulaires en secteurs chauds instables avec axe de convergence étroit étiré dans le flux.
 
 
 
Le profil vertical reconstitué par WRF-ARW pour les environs de la Charité-sur-Loire peu de temps avant le passage de la tornade illustre le caractère explosif de cette situation. La structure de cisaillement vertical et le profil thermo-hygrométrique sont en effet caractéristiques des situations supercellulaires tornadiques sévères, avec notamment un vMULI proche de -12 K, une vMUCAPE de 4727 J/kg, 203 m²/s² de SRH 0-3 km, un Supercell Composite Parameter de 21,6 (valeur extrême) et un Significant Tornado Parameter de 3,5 :
 
 
 

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