Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF2 à Tremblay (Ille-et-Vilaine) le 8 mai 1923

Le 8 mai 1923 dans l'après-midi, une tornade d'intensité modérée (EF2) est aperçue dans plusieurs communes d'Ille-et-Vilaine, dont Tremblay qui apparaît la plus sinistrée. Le phénomène blesse au moins deux personnes, dont l'une grièvement. En raison d'une enquête de terrain partielle, la trajectoire définitive du phénomène reste indéterminée à ce jour.
 
La tornade de Tremblay s'inscrit dans un outbreak de tornades (épisode de tornades groupées) qui totalise 2 cas pour la journée du 8 mai 1923, dont la tornade EF3 du Ménil-de-Briouze (Orne) survenue trois-quarts d'heure plus tôt.

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade EF2 de Tremblay (Ille-et-Vilaine) du 8 mai 1923* intensité maximale : EF2, soit des vents estimés entre 175 km/h et 220 km/h
* distance parcourue : 14,7 kilomètres (distance minimale certaine)
* largeur moyenne : indéterminée

* communes traversées : SAINT-RÉMY-DU-PLAIN (la Touche, Guette, le Plessis), ROMAZY (la Genais), TREMBLAY (Rinan, le Bois Briand, la Croix Blanche, la Daie)
* département : ILLE-ET-VILAINE (35)
* altitude moyenne du terrain : 70 mètres
* type de terrain : territoires agricoles, forêts et milieux semi-naturels

* principaux dégâts : pommiers et cerisiers arrachés par centaines ; chênes robustes déracinés et déposés à quelques mètres ; toitures de bâtiments (corps de ferme, dépendances, habitations) arrachées et murs lézardés ; plusieurs hangars entièrement détruits, dont l'un entièrement soufflé ; pans de toitures déposés entiers à une certaine distance

NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée (English version) . Cette version de l'échelle EF, élaborée et mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen et permet ainsi une notation précise des tornades, valable autant pour les tornades contemporaines que pour les tornades du passé, et homogène internationalement.
  

Trajectoire de la tornade

 
© Keraunos (fond de carte : Géoportail)
 

Des dégâts venteux sur une trajectoire de 38 kilomètres

La tornade de Tremblay du 8 mai 1923 survient au sein d'une dégradation orageuse de grande ampleur dans le département de l'Ille-et-Vilaine. Selon toute vraisemblance, une structure de type supercellulaire a transité sur le Nord du département entre Aubigné et Saint-Georges-de-Reintembault, en passant par Feins, Saint-Rémy-du-Plain, Tremblay, Saint-Brice-en-Coglès, Montours et le Ferré, soit sur un parcours de 38 kilomètres.

D'après les témoignages recueillis et une enquête de terrain partielle menée par une équipe de l'Ouest-Eclair, des vents de nature tourbillonnaire sont attestés au sein de cet axe sur une portion de près de 15 kilomètres entre Saint-Rémy-du-Plain et Tremblay. La trajectoire pourrait être supérieure mais la nature des vents en amont et en aval de ce couloir n'a pas pu être déterminée.

Les témoins, qui ont vu la tornade dans le secteur de Tremblay, évoquent "une sorte de ronflement sourd" qui accompagne une "masse nuageuse qui s’abaisse vers le sol, se forme en sorte de cône qui bientôt touche terre et se met à tourner avec un mouvement giratoire de plus en plus accentué." Sur le parcours du phénomène, les dommages relèvent d'une intensité EF2 :
pommiers et cerisiers arrachés par centaines, chênes robustes déracinés et déposés à quelques mètres, toitures de bâtiments (corps de ferme, dépendances, habitations) arrachées et murs lézardés, plusieurs hangars entièrement détruits, dont l'un d'eux est rasé et dispersé, pans de toitures déposés entiers à une certaine distance.

Deux personnes sont blessées suite à cette tornade : un homme est enseveli à moitié sous les débris de sa grange, un autre est gravement blessé par la chute d'une poutre. On cite également plusieurs victimes animales, mais dont le nombre exact n'est pas connu.

Un mois après l'événement, les pertes constatées par les commissaires vérificateurs et l'administration des contributions directes se montent à 1 127 743 Francs. Plusieurs communes atteintes par le vent ou la grêle ont également présenté des demandes collectives de remises d'impôts

Un outbreak remarquable mais localisé dans l'Ouest

Les tornades de Tremblay et du Ménil-de-Briouze prennent part à une dégradation orageuse remarquable, principalement dans l'Ouest de la France où la Bretagne et la Normandie sont les régions les plus durement touchées. En plusieurs points des Côtes-d'Armor et de la Manche, on signale notamment des inondations causées par des pluies orageuses diluviennes.

Mais c'est sans conteste en Ille-et-Vilaine et dans l'Orne que la dégradation orageuse est la plus remarquable. Un premier axe orageux virulent, qui prend naissance dans la région de Rennes, provoque des chutes de grêle destructrices entre Domloup et la Bouëxière vers 15 heures locales. Cet axe prend ensuite la direction de Fougères, puis probablement du Nord de la Mayenne et de l'Orne, avant de provoquer des chutes de grêlons exceptionnelles à Domfront (16h30 locales), une tornade d'intensité EF3 au Ménil-de-Briouze (17 heures locales), puis de nouvelles chutes de grêle destructrices entre Trun et Vimoutiers (18 heures locales). Selon toute vraisemblance, cet axe orageux a pu évoluer en structure de type supercellulaire a minima dans l'Orne, si l'on analyse précisément la répartition des zones dévastées à la fois par le vent et la grêle, et leur niveau d'intensité.

Un second axe orageux virulent, qui se déclenche entre 17h30 et 18 heures locales au Nord de l'Ille-et-Vilaine, est exclusivement marqué par des dégâts venteux sur une bande de terrain large de plusieurs kilomètres. Au sein de cet axe, une tornade d'intensité EF2 est observée dans la région de Tremblay. Plusieurs communes situées en périphérie Sud sont également sinistrées par le vent. L'hypothèse d'une structure de type supercellulaire HP est rendue possible après analyse de la répartition des dégâts venteux, de la reconstitution chronologique de l'événement, et du contexte météorologique qui prévalait le 8 mai 1923 (voire analyse ci-après).

Carte synthétique des principaux événements météorologiques survenus entre l'Ille-et-Vilaine et l'Orne durant l'après-midi du 8 mai 1923 (en bleu : chute de grêle remarquable, en jaune : axe venteux, en rouge : tornade).

© Keraunos (fond de carte : Google Mymaps)


Analyse de la situation météorologique

La situation météorologique du 8 mai 1923 a pu être reconstituée à partir des données du programme de réanalyses ERA-20C du Centre Européen de Prévision (résolution 125 km)  et du programme "20th Century Reanalysis" mené par la NOAA, l'ESRL et le PSD (résolution 100 km). Les données fournies par ces programmes permettent de reconstruire par modèle les conditions météorologiques à tous les niveaux de l'atmosphère à partir d'un nombre restreint de données d'observations. Les résultats sont certes à considérer avec une certaine prudence compte tenu des périodes reculées auxquelles ils s'appliquent, mais ils présentent un degré de fiabilité élevé qui permet une reconstruction pertinente de la plupart des épisodes météorologiques majeurs des 150 dernières années.En complément, afin d'analyser plus en détail le contexte de méso-échelle, le modèle WRF-ARW 3 km a été déployé en version « reforecast » et initialisé sur ERA-20C avec les conditions du 07.05.1923 18Z. Dans le cas présent, la simulation obtenue présente une forte cohérence avec les observations réalisées à l'époque et fournit donc un scénario sans doute très proche de la réalité.

Il ressort de ces analyses que le nord de la France se trouve soumis, le 8 mai 1923, à un flux de sud-ouest rapide et divergent, à l'avant d'un profond thalweg d'altitude, dans une configuration simultanée de sortie gauche - entrée droite de jet (voir ci-dessous à gauche l'analyse à 250 hPa, soit vers 10.000 mètres d'altitude). On note, de manière classique dans ces situations, la présence à l'étage moyen d'une goutte froide (-22°C à 500 hPa, soit vers 5.500 mètres d'altitude), au large du Portugal (ci-dessous à droite).



Au sol, un creux dépressionnaire, présent depuis la veille dans le Golfe de Gascogne, migre vers la Bretagne durant la journée du 8 mai tout en se creusant (ci-dessous à gauche). La convergence induite en basses couches se concentre principalement le long d'un axe Bretagne - Normandie - Nord Pas de Calais en cours d'après-midi et de soirée. Les forçages associés se produisent à l'avant d'un front froid, situé plus au nord sur les îles britanniques, et donc au sein d'un secteur chaud bien alimenté en air tropical chaud et humide, comme en témoignent les thêta'w > 15°C à 850 hPa (ci-dessous à droite).



C'est ainsi un contexte à la fois très dynamique et très instable qui concerne le nord-ouest de la France. L'analyse détaillée réalisée avec le modèle ARW met en évidence des valeurs de MUCAPE qui dépassent localement 2.000 J/kg sur ces régions en cours d'après-midi (ci-dessous à gauche). La présence d'un jet à 700 hPa de secteur SSO produit des cisaillements et une hélicité relative marquées là où ce jet surplombe la zone de convergence qui s'étire alors de la Bretagne à la Normandie (SRH 0-1 km souvent comprise entre 150 et 200 m²/s² ; voir ci-dessous à droite) :



L'ensemble produit un environnement propice au développement de violents orages et de tornades sur ces régions. Le potentiel tornadique est tout particulièrement marqué sur le flanc nord de la zone de convergence, comme en témoignent les indicateurs ci-dessous :



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