Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF4 à Saint-Claude (Jura) le 19 août 1890

Le 19 août 1890, une tornade meurtrière de très forte intensité (EF4) traverse plusieurs communes de l'Ain, du Jura français et de la vallée de Joux (Suisse) et provoque la mort de six personnes. Les dégâts, considérables, s'étendent sur une trajectoire record de 81 kilomètres et une largeur moyenne exceptionnelle de 700 mètres.
 
La tornade de Saint-Claude s'inscrit dans un outbreak de tornades (épisode de tornades groupées) qui totalise 3 cas pour les journées des 18 et 19 août 1890 (24 heures glissantes), dont la tornade EF2 de Domagné (Ille-et-Vilaine) et la tornade EF3 de Dreux (Eure-et-Loir).

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade de Saint-Claude (39) du 19 août 1890intensité maximale :  EF4, soit des vents estimés entre 270 km/h et 320 km/h
* distance parcourue : 81 kilomètres (record français)
* largeur moyenne : 700 mètres

* communes traversées : OYONNAX, ARBENT (forêt de Macretet), VIRY, LARRIVOIRE, SAINT-CLAUDE (Ranchette, centre-ville, Cinquétral), LONGCHAUMOIS (La Pelaisse, les Charrières, Rosset), PRÉMANON (Combe du Mont-Fier, les Arcets), LES ROUSSES (village, le Vivier), BOIS-D'AMONT, LE CHENIT (le Bas-du-Chenit, Crêt-Meylan, le Campe) [CH], L'ABBAYE (le Bois-à-Ban, Sapelet Dessus, Sapelet Dessous, les Croisettes) [CH], MONT-LA-VILLE (Mollendruz) [CH], ROMAINMÔTIER-ENVY [CH], CROY (Gare) [CH]
* départements français touchés : AIN (01), JURA (39)
* canton suisse touché : canton de VAUD
* altitude moyenne du terrain : entre 400 mètres et 1350 mètres (moyenne de 1000 mètres)
* type de terrain : territoires artificialisés, territoires agricoles, forêts et milieux semi-naturels

* principaux dégâts : des dizaines de milliers d'arbres brisés ou dépouillés, dont certains troncs emportés à plus de 100 mètres; forêts entières anéanties; habitations solides éventrées ou détruites; constructions basses rasées jusqu'au sol; débris emmenés à plusieurs dizaines de kilomètres; individus emmenés jusqu'à 200 mètres de distance; wagons renversés ou broyés; un wagon avec une grue de 25 tonnes projeté à 20 mètres de distance

NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée. Cette version de l'échelle EF, mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen. 
 

Parcours de la tornade

 
© Keraunos (fond de carte : Géoportail)
 
 
© Société Vaudoise des Sciences Naturelles, d'après un dessin de Paul Etier)
 
 

Chronologie de la tornade à partir d'Oyonnax (Ain, France) jusque Croy (canton de Vaud, Suisse)

La journée du 19 août 1890, comme celle de la veille sur la moitié ouest du pays, est chaude et orageuse dans le Jura. L'air y est également décrit comme exceptionnellement lourd.

L'orage responsable de la tornade de Saint-Claude adopte les mêmes caractéristiques que celui qui a traversé l'Eure-et-Loir la veille : éclairs incessants au sein d'un nuage décrit comme une "masse de feu" [Notes de l'abbé Bourgeat], grondements sourds et ininterrompus du tonnerre. Depuis le lac Léman, le nuage éclairé en permanence avait, selon les témoins, la forme d'un entonnoir très évasé.

A Saint-Claude, l'orage est annoncé par des craquements de tonnerre secs et sans écho. Après quelques gouttes de pluie et des grêlons grossièrement taillés en morceaux de glace, un bruit de sifflement est perçu par les habitants au sein d'éclairs aveuglants : la tornade ravage la cité sanclaudienne et poursuit sa route vers le nord-est.

La chronologie du phénomène (heure locale de Paris), récapitulée ci-après, permet de conclure à une vitesse de déplacement de la tornade de 60 km/h et à une durée totale de 1h15:

Oyonnax (Ain, France)                19h15
Saint-Claude (Jura, France)        19h37
Les Rousses (Jura, France)          19h55
Bois-d'Amont (Jura, France)       20h08
Croy (canton de Vaud, Suisse)    20h29
 

Une tornade aux proportions exceptionnelles

La tornade de Saint-Claude s'est formée au sein d'un orage durable qui a provoqué des vents destructeurs sur une trajectoire totale de plus de 150 km, entre Oyonnax (Ain, France) et le lac de Bienne (canton de Berne, Suisse) après avoir traversé la vallée de Joux et le lac de Neuchâtel. Au-delà de Bienne, l'orage se distingue encore par des chutes de grêlons d'une grosseur parfois inédite : tour à tour il frappe la contrée de Bienne (21h00), Aarau (22h00), enfin le lac de Constance (23h00). Côté français, des orages surviennent dans l'après-midi dans le secteur de Bourg-en-Bresse et de Nantua, mais aucune manifestation tornadique n'a pu être prouvée.

Selon M. Bourgeat (professeur à l'université catholique de Lille), qui a publié une note détaillée de 67 pages sur le phénomène, la convergence des dégâts n'est observée de façon incontestable qu'entre Oyonnax (Ain, France) et la gare de Croy (canton de Vaud, Suisse). Au-delà de cette dernière commune, la largeur du couloir de dégâts (plusieurs kilomètres), la durée du phénomène (plusieurs minutes) et surtout l'absence de convergence, ne permettent plus d'établir la persistance de la tornade. Selon le curé d'Oyonnax, le phénomène aurait pris naissance au sud-ouest de Bellignat, mais faute de description de dégâts et d'informations précises sur les observations réalisées à cet endroit, l'hypothèse d'une tornade déjà en activité sur ce secteur n'est pas retenue. 

Il es donc possible de considérer que, sur la base de nos connaissances actuelles, la tornade de Saint-Claude a parcouru une trajectoire totale et continue de 81 kilomètres (dont 51 km pour la partie française) ce qui constitue la plus longue trajectoire connue à ce jour pour une tornade ayant pris naissance en France.

L'influence du relief et la topographie des crêtes du Jura semblent avoir joué un rôle non négligeable dans le comportement du tourbillon. La largeur du couloir est localement remarquable, mais n'atteint pas les 3 kilomètres initialement annoncés dans le premier compte-rendu de l'abbé Bourgeat (il le reconnaît lui-même dans un second compte-rendu). Dans certaines vallées, les aspirations sont observées sur une largeur supérieure à 1 kilomètre, quand sur d'autres secteurs le couloir n'excède pas 200 mètres. Dans la vallée de Joux, la tornade, comme sur des rails, adopte une trajectoire quasiment identique au sillon formé par la rivière de l'Orbe, avant de se dissiper dans la plaine du même nom. Quel que soit le relief rencontré, la tornade a su conserver une trajectoire en ligne droite et traverser des massifs culminant à 1350 mètres d'altitude.
 

Des dégâts considérables

Il serait rigoureusement impossible d'énumérer les dégâts provoqués par la tornade sur l'ensemble de sa trajectoire. Parmi les plus remarquables, nous pouvons citer des milliers d'arbres brisés comme des fétus de paille ou dépouillés, et emmenés à distance sur plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de mètres. Des forêts entières sont ainsi anéanties entre Saint-Claude et la frontière suisse, et l'on estime à 300.000 environ le nombre de sapins touchés par la tornade.  

Plusieurs habitations sont éventrées voire rasées à Saint-Claude et au Chenit (Suisse). Certaines constructions solides à trois niveaux, bâties en pierre de taille, ont perdu un étage et n'ont conservé que leurs quatre murs extérieurs.

A Saint-Claude, le pont suspendu (reconstruit ensuite) a été tordu et arraché en partie, tandis que les clochetons de la cathédrale sont emportés par le vent. Au niveau de la gare, plusieurs wagons sont renversés ou broyés, dont un wagon avec une grue de 25 tonnes qui a été emporté à 20 mètres après avoir franchi une butte de très faible hauteur.

Des personnes ont été déplacées jusqu'à 200 mètres de distance ; on a même retrouvé des débris de toutes sortes à plus de 30 kilomètres de leur emplacement d'origine, surtout du côté du nord.

Aux dégâts qui se chiffrent à plusieurs millions de francs ; s'ajoutent 6 morts et près de 150 blessés admis à l'hôpital.
 

Illustrations des dégâts

Les photographies originales suivantes, issues du fonds d'archives Keraunos, sont exceptionnelles et représentent des vues de dégâts sur le secteur de Saint-Claude après le passage de la tornade :
X
© Archives Keraunos
 
© Archives Keraunos
 

© Archives Keraunos
 

© Archives Keraunos
 

Contexte météorologique du 19 août 1890

Les données issues du programme de réanalyse par méthode ensembliste de la NOAA (ESRL/PSD) permettent de reconstituer les grandes lignes de la situation météorologique qui prévalait le mardi 19 août 1890, à l'heure de la tornade.
 
On note ainsi la présence d'un rapide flux de sud-ouest en altitude, avec un courant-jet étiré de l'Espagne jusqu'au sud de la Scandinavie. Les vents sont estimés proches de 140 km/h à 10.000 mètres d'altitude sur l'ouest de la France. Ce flux est piloté par un thalweg qui progresse lentement depuis le proche Atlantique vers la Bretagne. Un cut-off en cours de comblement, associé à une goutte froide, est identifié à 500 hPa.
X
Réanalyse pour pour le mardi 19 août 1890 à 18h09 (heure de Paris) : Z250 et vent moyen à 250 hPa (à gauche) ; température et vent à 500 hPa (à droite)
 
 
En basses couches, des remontées d'air très chaud en provenance d'Afrique du Nord concernent une grande partie de l'Europe. A 850 hPa, la température est simulée supérieure à 15°C des Pyrénées à la Lorraine, avec des valeurs proches de 20°C sur le sud du Jura. Ces advections d'air tropical gagnent le Jura via un flux de sud en basses couches, qui est renforcé par la présence d'un minimum dépressionnaire secondaire de méso-échelle sur le nord de la France. Cet élément, présent dans les réanalyses, est confirmé par les mesures barométriques de l'époque.
X 
Réanalyse pour pour le mardi 19 août 1890 à 18h09 (heure de Paris) : température et vent à 850 hPa (à gauche) ; pression réduite au niveau de la mer (à droite) .
 
Ces advections d'air subtropical génèrent de forts contenus en eau précipitable (25 à 35 mm) du sud-ouest de la France jusqu'aux pays Baltes, en passant par l'Allemagne et par le nord de la Pologne. Un potentiel orageux sensible est ainsi identifié entre Massif Central, Jura et Bavière, avec une instabilité latente significative (MLCAPE > 600 J/kg).
X
Réanalyse pour pour le mardi 19 août 1890 à 18h09 (heure de Paris) : contenu en eau précipitable et vent moyen 10 m (à gauche) ; MLCAPE et MLLI (à droite).
 
 
Les réanalyses mettent par ailleurs en évidence un contexte fortement cisaillé sur une grande partie de la France, et plus particulièrement entre Aquitaine et Lorraine. Ainsi, les cisaillements profonds atteignent 25 m/s sur le Jura, et jusqu'à 30 m/s sur le sud de l'Aquitaine, soit des valeurs très élevées, notamment pour une situation estivale. Dans le même temps, un noyau de forte hélicité (SRH 0-3 km) est restitué sur le Jura, ce qui témoigne d'un environnement à la fois instable et très fortement cisaillé aux abords du Jura ce soir-là, et dès lors en mesure de supporter des développements supercellulaires virulents.
X 
Réanalyse pour pour le mardi 19 août 1890 à 18h09 (heure de Paris) : cisaillements 0-6 km (à gauche) ; SRH 0-3 km (à droite).
Ainsi, comme la veille, c'est une situation fortement propice aux orages qui était en place sur la France ce 19 août 1890. Le Jura était, selon toute vraisemblance, confronté à des profils verticaux bien instables, favorablement humidifiés et très chauds en basses couches, et par ailleurs fortement cisaillés à tous niveaux. On y trouve là un contexte tout à fait propice à la survenue d'une tornade supercellulaire de forte intensité.
 

Témoignage

Parmi les très nombreuses sources disponibles sur ce cas, voici l'extrait d'un témoignage d'un voyageur qui arrive en gare de Saint-Claude peu après la tornade :
 
"Nous marchons dans 20 centimètres de décombres pour arriver à la rue, à chaque pas des chevaux éventrés ou saignés, des voitures renversées, tu vois d'ici l'épouvantable spectacle auquel j'ai assisté, tous les arbres d'une magnifique promenade abattus ; les clochers de la cathédrale enlevés ; en un mot, de vie humaine, jamais, jamais on n'a vu pareil cyclone dans le pays ; c'est horrible, et surtout que de cadavres sous les décombres. Je te donne un seul exemple de la violence du vent : une pauvre femme saisie par le tourbillon a été lancée par dessus le pont dans un ravin à 50 mètres ; c'est la désolation pour tout le monde, c'est la misère pour beaucoup ; Dieu veuille venir en aide à tous ces malheureux."

En savoir plus sur les tornades