Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF4 à Masseret (Corrèze) le 31 mai 1865

Le 31 mai 1865, vers 18h45, une tornade de très forte intensité (EF4) ravage une partie du Limousin, au moins entre Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne) et Meilhards (Corrèze). Le phénomène est particulièrement dévastateur à Coussac-Bonneval et à Masseret, où plusieurs hameaux sont détruits. 
 
Selon toute vraisemblance, la tornade de Masseret est issue d'une structure de type supercellulaire, à l'origine de grêlons géants dont certains pesaient plus de 500 grammes.
 

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade de Masseret (19) du 31 mai 1865intensité maximale : EF4, soit des vents estimés entre 270 km/h et 320 km/h
* distance parcourue : 37 kilomètres (distance minimale certaine)
* largeur moyenne : 600 mètres (aspirations périphériques de près de 2 kilomètres)

* communes traversées : SAINT-YRIEIX-LA-PERCHE (rivière la Loue, carrière de kaolin, la Faye, la Vauzelle, Lavaud) ; COUSSAC-BONNEVAL (Angelot, Bois-Vicomte, le Chaillaud, la Ribière, la Pouge, la Courtette, Breuilhatour, Puy du Lac, Marsac, Pressac) ; MEUZAC (Royer, la Nouaille) ; MONTGIBAUD ; BENAYES (Fardet, chez Vergnaud) ; MASSERET (village) ; LAMONGERIE ; MEILHARDS (Sauviat, la Besse)
* départements : HAUTE-VIENNE (87), CORRÈZE (19)
* altitude moyenne du terrain : 405 mètres
* type de terrain : territoires artificialisés ; territoires agricoles ; forêts et milieux semi-naturels

* principaux dégâts : 80 000 arbres déracinés, brisés, broyés, dépouillés dont certains emportés à distance ; 100 habitations fortement endommagées ou complètement détruites ; phénomènes d'aspiration ou de projection importants : plusieurs voitures transportées par le tourbillon (l'une d'elles, portant un chargement de 2 tonnes, est jetée dans le fossé); plusieurs personnes emmenées par le tourbillon (jusqu'à 100 mètres) ; hangars agricoles et industriels, granges et étables démolis ; objets emportés à de grandes distances, jusqu'à 12 kilomètres ; animaux (de troupeaux ou de basse-cour) tués par l'effondrement de granges ou par des projectiles

NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée. Cette version de l'échelle EF, mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen.
 

Trajectoire de la tornade

 
© Keraunos (fond de carte : Carte de l'Etat-Major de 1820-1866)
 
Cette trajectoire, qui apparaît comme un minimum, est en grande partie tirée d'une enquête de terrain réalisée L. Leygonie pour le Courrier du Centre.
 

Une trajectoire rectiligne de plus 50 kilomètres entre Dordogne et Corrèze

La tornade de Masseret survient au sein d'un orage de grêle dévastateur qui a parcouru plus de 50 kilomètres entre Jumilhac-le-Grand (Dordogne) et Chamberet (Corrèze) en passant par Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne). Cet orage peut être susceptible d'avoir parcouru une distance plus importante, mais nous ne disposons pas d'autres informations qui puissent l'attester à ce jour. L'hypothèse d'une structure de type supercellulaire est retenue pour cet orage (voir le paragraphe sur l'analyse météorologique ci-dessous) compte tenu de la sévérité des dommages observés, et de leur délimitation au sein d'un couloir parfaitement défini.
 
En plusieurs points situés dans l'axe de déplacement de l'orage, des grêlons géants sont observés. Ils anéantissent les récoltes et détruisent certains toits. C'est le cas dans les carrières de kaolin de Marcognac : "Peu habitués à une tempête aussi horrible, ces malheureux entreprennent leur route ; mais la pluie et d'énormes grêlons les obligent à se réfugier sous les arbres". Une fabrique de porcelaine est dévastée à l'est de Saint-Yrieix-la-Perche : "Il est tombé à ce dernier endroit des grêlons à formes bizarres; on en a remarqué d'ovales, de carrés à forme cubique, de prismatiques rectangulaires de 10 à 15 centimètres de long, et enfin d'autres qui offraient l'aspect d'une étoile à plusieurs rayons soudés à un noyau central commun. Ces derniers se brisaient généralement tous au moment de leur chute." Ailleurs sur la trajectoire de l'orage, certains grêlons pèsent plus de 500 grammes : "On a constaté, sous la zone centrale, le poids de grêlons qui s'élevait pour quelques-uns, très rares heureusement, jusqu'à sept cent cinquante grammes. Il y en avait cependant beaucoup qui pesaient entre quatre et cinq cents grammes."
 
C'est au sein de cette cellule orageuse grêligène et venteuse exceptionnelle que s'est développée la tornade de Masseret. A l'appui d'une enquête de terrain minutieuse, réalisée par L. Leygonie pour le journal local le Courrier du Centre, et complétée par d'autres informations de ce même journal, le point de départ de la tornade a pu être identifié à proximité de Saint-Yrieix-la-Perche. Avant cette commune, des dégâts venteux sont déjà signalés côté Dordogne, mais leur nature n'a pu être établie. Les investigations se poursuivent jusqu'à Masseret, puis à Meilhards; mais au-delà de cette dernière commune, le caractère tourbillonnaire des vents n'a pas pu être déterminé.

Carte synthétique de la trajectoire minimale parcourue par l'orage du 31 mai 1865 entre la Dordogne et la Corrèze :
 
© Keraunos (fond de carte : Géoportail)
 

Cent maisons démolies sur un front de 600 mètres de largeur

La tornade de Masseret a produit des dégâts sur une trajectoire reconnue de 37 kilomètres, selon un sens de déplacement de l'Ouest/Sud-Ouest vers l'Est/Nord-Est. Selon les investigations menées par L. Leygonie, la bande centrale sinistrée avait 600 mètres de largeur, mais des dégâts périphériques bien délimités sont observés sur un front qui atteint jusqu'à 2 kilomètres. Cette largeur est remarquable et se retrouve uniquement dans des tornades de très forte intensité.
 
Le phénomène aurait débuté à Saint-Yrieix-la-Perche, sur le ruisseau de la Loue. Des témoins visuels, M. et Mme Chameyrat, aperçoivent "une colonne de vapeur blanche semblable, par sa forme, à une cheminée d'usine, qui s'élevait en l'air dans la direction d'un nuage de couleur noirâtre; à un moment donné, le mouvement ascensionnel de cette colonne de vapeur s'est ralenti, le nuage s'est rapproché de son sommet sous la forme d'un cône renversé, en produisant dans cette dernière une dépression cylindrique de deux mètres de profondeur environ; la vapeur de la colonne s'est mise alors à tourner horizontalement tout autour de cette sorte de cratère".
 
Lancée à une vitesse estimée à 18 m/s (65 km/h), la tornade parcourt 8 territoires communaux et plus de 20 hameaux. De très nombreuses parcelles forestières sont anéanties. La tornade acquiert le plus d'intensité entre les bourgs de Coussac-Bonneval et de Meuzac, où plusieurs hameaux sont "anéantis de fond en comble". Après une accalmie temporaire lors de son entrée dans le département de la Corrèze, la tornade redouble d'intensité à Benayes et à Masseret, où on évoque "plusieurs maisons démolies en entier" ou des "habitations écrasées". A Masseret, le coeur du village est entièrement traversé. Au-delà de Masseret, la tornade frappe encore la commune de Meilhards où une voiture qui porte un chargement de 2 tonnes est projetée dans le fossé. L'une des fermes les plus importantes de la région est également détruite. Au-delà de Meilhards, en l'absence d'informations sur les dégâts produits, la nature tourbillonnaire du phénomène ne peut pas être établie.
 
Le bilan matériel de la tornade de Masseret est très lourd : environ 100 maisons endommagées ou détruites en totalité, 80 000 arbres (dont des forêts de châtaigniers) anéantis, 200 familles sans logement et environ 300 000 francs de dégâts. Miraculeusement, aucune victime humaine n'est à déplorer, même si certaines personnes sont blessées. En revanche, des animaux de bétail ou de basse-cour ont péri.
 
A noter enfin que la tornade a produit plusieurs phénomènes d'aspiration remarquables. Au moins trois personnes sont happées par le tourbillon et entraînées parfois à plus de 100 mètres. Un noyer est également arraché avec une telle force que ses racines sont brisées à la base de la souche. Des objets sont aussi retrouvés à Meilhards ; ils proviennent de la commune de Masseret, distante de 12 kilomètres. Concernant les arbres happés par la tornade, certains sont retrouvés à une altitude supérieure à celle où ils étaient plantés. Enfin, deux têtes d'oies décapitées sont emportées par le tourbillon.
 
Compte tenu des dégâts observés sur l'habitat traditionnel limousin (habitations en dur et matériaux résistants), la tornade de Masseret est classée d'intensité EF4 sur l'échelle de Fujita améliorée.
 

Analyse de la situation météorologique

La situation météorologique du 31 mai 1865 a pu être reconstituée à partir des données du programme de réanalyses "20th Century Reanalysis" mené par la NOAA, l'ESRL et le PSD. L'approche ensembliste développée par ce programme permet de reconstruire par modèle les conditions météorologiques à tous les niveaux de l'atmosphère à partir d'un nombre restreint de données d'observations. Les résultats sont certes à considérer avec une certaine prudence compte tenu des périodes reculées auxquelles ils s'appliquent, mais ils présentent un degré de fiabilité élevé qui permet une reconstruction pertinente de la plupart des épisodes météorologiques majeurs des 200 dernières années.
 
La soirée du 31 mai 1865 est dominée par un rapide flux de sud-ouest sur la majeure partie du pays. Le Limousin est alors vraisemblablement positionné en entrée droite diffluente d'une branche de courant-jet étirée entre le proche Atlantique et la Pologne (voir ci-dessous à gauche). Ce flux véhicule un thalweg thermique à l'étage moyen d'après le scénario de réanalyse (ci-dessous à droite), ce qui est cohérent avec la situation réelle de forte activité orageuse constatée au même moment.

 
 
En basses couches, une langue d'air tropical très doux et très humide (thêta'w > 18°C à 850 hPa) s'étire du Maroc et de l'Espagne jusqu'au Centre à l'Alsace et à la Bavière. La Haute-Vienne et la Corrèze se situe en soirée au coeur de cet air tropical, dans un contexte rendu fortement convergent au sol par le creusement d'un minimum dépressionnaire secondaire sur le sud du Limousin.

 
 
Ces forçages bien couplés sur le Limousin ont déclenché la convection au sein d'un environnement très instable. La reconstruction des profils verticaux les plus probables permet en effet de mettre en évidence une forte instabilité au sein de la langue d'air tropical (ci-dessous à gauche), avec des cisaillements significatifs, générateurs d'un contexte globalement propice aux supercellules (ci-dessous à droite).

 
On voit ainsi se dessiner ici une situation propice à un épisode orageux intense durant cette soirée du 31 mai 1865, notamment à proximité du minimum secondaire, soit entre nord Aquitaine, Limousin, Poitou et Centre.
 

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