Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF3 à Sète (Hérault) le 19 septembre 1893

Le 19 septembre 1893 - moins de 50 ans après la tornade EF4 qui avait tué 20 personnes - une nouvelle tornade meurtrière de forte intensité (EF3) traverse l'est de la ville de Sète (Hérault) et plus particulièrement le port et la gare de marchandises. Le phénomène provoque des dégâts matériels très importants et projette de nombreux débris à distance.
 
Il est à noter que la ville de Sète présente une occurrence de tornades tout à fait remarquable à l'échelle nationale. Six cas, tous issus de trombes marines, y ont été recensés à ce jour : le 22 octobre 1844 (EF4), le 19 septembre 1893 (EF3), le 9 octobre 1907 (EF1), le 4 novembre 2005 (EF1), le 12 octobre 2014 (EF0) et le 15 septembre 2023 (EF0).
 

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade de Sète (34) du 19 septembre 1893* intensité maximale : EF3, soit des vents estimés entre 220 km/h et 270 km/h
* distance parcourue : 1 kilomètre (distance minimale certaine)
* largeur moyenne : indéterminée

* commune traversée : SÈTE (gare maritime, quai François Maillol, bassin du Midi, gare du Midi)
* département : HÉRAULT (34)
* altitude moyenne du terrain : 1 mètre
* type de terrain : territoires artificialisés ; surfaces en eau

* principaux dégâts : nombreux arbres déracinés ou brisés ; maisons et petits bâtiments endommagés (cheminées écroulées, toitures enlevées) voire écroulés ; réverbères, poteaux télégraphiques et téléphoniques emportés au loin ; nombreuses embarcations de toutes tailles (dont un trois-mâts) détériorées, voire détruites, certaines ayant été emportées par le vent ; plusieurs personnes précipitées dans le canal ; bureau des douanes effondré et débris retrouvés jusqu'à la gare du Midi ; guérites de douaniers renversées et jetées dans le canal, blessant plusieurs brigadiers ; plus de 200 bâches arrachées par la tornade et retrouvées dans l'étang de Thau, voire à Balaruc ; deux hangars situés à la gare du Midi entièrement écroulés sur une longueur de 60 à 80 mètres ; une rangée de wagons renversée, dont un wagon chargé de fonte ; murs des bureaux de la gare lézardés ; cabane du chef de quai entièrement démolie

NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée. Cette version de l'échelle EF, mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen.
 

Trajectoire de la tornade

 
© Keraunos (fond de carte : Géoportail)
 

Deux hangars et une rangée de wagons renversés

La tornade de Sète du 19 septembre 1893 s'est déroulée dans un contexte dépressionnaire à l'avant d'un thalweg qui progressait par l'Ouest. Ce flux de Sud-Ouest s'est avéré fortement instable en raison de la remontée, par la Mer Méditerranée, d'une masse d'air chaud et très humide dans les basses couches.

Les informations contenues dans la presse locale, et notamment dans l'Eclair des 21 et 22 septembre 1893, permettent d'attester d'un phénomène tourbillonnaire dans le port de Sète, vers 22h40. L'Illustration consacre même une page à l'événement : "Le département de l'Hérault, la ville et le port de Cette [Sète] viennent d'être ravagés par une de ces tempêtes dont la caractéristique est leur trajectoire décrivant un cercle plus ou moins étendu dans son aire, et que l'on appelle à cause de cela des cyclones."
 
La tornade, issue d'une trombe marine, semble d'abord s'être déplacée du Sud/Sud-Ouest vers le Nord/Nord-Est, même si son point d'entrée exact sur le territoire de Sète reste encore indéterminé à ce jour. En effet, des dommages venteux sont observés de part et d'autre du Mont Saint-Clair (la Corniche, le Lazaret, les Métairies, les Casernes, le port) mais aucun élément probant ne permet de relier ces deux phénomènes venteux avec la même tornade. A minima, nous pouvons considérer que la tornade a traversé le canal maritime de la ville de Sète jusqu'à la gare du Midi, d'où la trajectoire minimale de 1 kilomètre retenue à ce jour.
 
Au-delà de Sète, les dégâts venteux se poursuivent et sont organisés au sein d'un axe qui s'étire de Balaruc à la vallée de la Mosson, à l'ouest de Montpellier, soit sur une distance totale de 30 kilomètres. Au sein de ce périmètre sinistré, des bâtiments sont en partie démolis et des arbres brisés net (ceux qui sont déracinés sont couchés en direction de l'Ouest). Tout porte à croire que la même structure orageuse est à l'origine de ces rafales destructrices, mais sans que l'on puisse les rattacher à la tornade de Sète de façon certaine.
 
A Sète, l'essentiel des dommages se concentre le long du canal Maritime et dans le périmètre du port de plaisance et de la gare de marchandises. Là, des dizaines d'embarcations de toute taille sont détériorées ou brisées, certaines ayant même coulé dans le canal, mettant en péril la vie de nombreux pêcheurs. Deux d'entre eux trouvent d'ailleurs la mort dans ces circonstances. Parmi les embarcations les plus remarquables, nous pouvons citer :
 
- le brick italien Glorios de Dios, coulé par la tornade,
- le trois-mâts grec Haï-Az en partie détruit et couché sur le côté, entre le quai de Cayenne et le quai de l'Avenir (respectivement quai Paul Riquet et quai François Maillol),
- deux autres navires, le Beneffatore et le Giuseppe Olivari, entraînés jusqu'à l'entrée du pont du quai des Moulins (distance estimée : entre 100 et 150 mètres).
 
Dans le périmètre du port de plaisance, la tornade survole le bureau des douanes qui s'effondre; des débris sont retrouvés jusqu'à la gare du Midi. Des guérites de douaniers sont renversées et jetées dans le canal, blessant plusieurs brigadiers. Un garde-vin est précipité dans le canal et meurt noyé. On reste également sans nouvelles, à la date du 22 septembre, d'un garde-marchandises, qui pourrait avoir péri de la même manière. Quai Vauban, plus de 200 bâches qui recouvrent un débarquement de maïs sont arrachées par la tornade et retrouvées dans le Bassin de Thau, voire à Balaruc.
 
Enfin, la tornade traverse la gare du Midi et provoque de très gros dégâts sur plusieurs bâtiments : deux hangars sont entièrement écroulés sur une longueur de 60 à 80 mètres, une rangée de wagons est renversée (l'un d'eux est chargé de fonte), les murs des bureaux de la gare sont lézardés. La cabane du chef de quai est entièrement démolie. Dans ce périmètre, plusieurs personnes sont blessées
 
Dans tout le secteur traversé par la tornade, plusieurs arbres sont également déracinés, les réverbères, poteaux télégraphiques et téléphoniques emportés au loin, des toitures d'habitations endommagées, voire des bâtiments écroulés. Des débris de toutes sortes sont emportés à plusieurs centaines de mètres.
 
Au total, 4 personnes sont retrouvées mortes ou sont portées disparues à la suite de cette tornade, sans compter une dizaine de blessés atteints plus ou moins gravement.
 
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Illustrations des dégâts causés par la tornade de Sète du 19 septembre 1893 :
 
© Keraunos (d'après L'Illustration)
 

Analyse de la situation météorologique

La situation météorologique du 19 septembre 1893 a pu être reconstituée à partir des archives météorologiques de l'époque, complétées par les données du programme de réanalyses "20th Century Reanalysis" mené par la NOAA, l'ESRL et le PSD. L'approche ensembliste développée par ce programme permet de reconstruire par modèle les conditions météorologiques à tous les niveaux de l'atmosphère à partir d'un nombre restreint de données d'observations. Les résultats sont certes à considérer avec une certaine prudence compte tenu des périodes reculées auxquelles ils s'appliquent, mais ils présentent un degré de fiabilité élevé qui permet une reconstruction pertinente de la plupart des épisodes météorologiques majeurs des 150 dernières années.

Il ressort de ces analyses que
la tornade de Sète s'est formée dans un contexte dépressionnaire, piloté par l'approche d'un thalweg d'altitude par l'ouest de la France. L'Hérault était alors positionné dans une configuration de sortie gauche de courant-jet, à l'avant d'un axe de thalweg probablement étiré entre Bretagne et Cantabriques.
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Au sol, un système dépressionnaire était en position entre le nord de l'Algérie et l'est de l'Espagne. Il dirigeait un fort flux d'air doux et humide en basses couches en direction du sud de la France, comme en témoigne la vaste onde de hautes valeurs de thêtaE reproduite par les réanalyses à 850 hPa. Ces advections d'air tropical en basses couches se sont révélées bien instables (ci-dessous à droite). C'est ce couplage instabilité / cisaillements qui a manifestement permis la formation de cette forte tornade.
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