Le 2 septembre 2025, en début de matinée, une tornade d'intensité modérée (haut de l'échelon EF2) balaie plusieurs communes du Morbihan, dont Guéhenno qui apparaît la plus atteinte. Si les dégâts matériels sont localement spectaculaires, le phénomène ne blesse que 4 personnes.
La tornade de Guéhenno est issue d'un petit système convectif qui est à l'origine de rafales destructrices et d'une première tornade EF1 survenue à Landévant (même département), ce qui constitue de fait un outbreak de tornades pour cette journée du 2 septembre.
Enfin, il est à noter que la dernière tornade EF2 dans le département du Morbihan avait été observée à Plouray le 8 octobre 2014.
Principales caractéristiques de la tornade

* intensité maximale : EF2, soit des vents estimés entre 175 km/h et 220 km/h
* distance parcourue : 19,7 kilomètres
* largeur moyenne : 350 mètres (jusqu'à 650 mètres)
* commune(s) traversée(s) : BIGNAN (Talforest, Kervéguin, le Bézo, Kerdenis, Kerauffret, Lann Minsal, Talhoët, Moulin d'Hilary) ; SAINT-JEAN-BRÉVELAY (ruisseau de la Claie, Quillio, Keraulay) ; BIGNAN (Kergan, Kerkaër, Corn er Lann, Guerizoët, le Champ de Bignan) ; GUÉHENNO (le Burgo, Lesnee Courtil, le Cognel, la Grée Robin, Casserand, les Grazy, Carisé, le Moulin de Châteauneuf, Châteauneuf, la Ville Eon, le Quillio, Lilléran, la Ville Moisan, Kerchevet, le Mené, la Ville Neuve, le Guern, la Belle Etoile, D778, la Pérelle, Trévénian, la Ville Robert) ; GUÉGON (Bodégan, Kersého, le Bois Liscaut, Saint-Gildas, la Ville Ville, les Touches, la Ville Daniel, les Bourbalets)
* département(s) : MORBIHAN (56)
* altitude moyenne du terrain : 115 mètres
* type de terrain : terres arables hors périmètre d'irrigation ; prairies ; systèmes culturaux et parcellaires complexes ; surfaces essentiellement agricoles, interrompues par des espaces naturels importants ; forêts de feuillus
* principaux dégâts : nombreux arbres déracinés, arrachés ou sectionnés avec des projections de branches à distance ; plusieurs bâtiments agricoles détruits ; plusieurs habitations endommagées (toitures arrachées, parfois en totalité) ; poteaux électriques (bois et béton) sectionnés ou pliés ; roundballers déplacés ; objets lourds traînés sur quelques dizaines de mètres ; un mobil-home disloqué et déplacé de plusieurs dizaines de mètres ; multiples projections à grande distance
NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée (English version) . Cette version de l'échelle EF, élaborée et mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen et permet ainsi une notation précise des tornades, valable autant pour les tornades contemporaines que pour les tornades du passé, et homogène internationalement.
Parcours de la tornade
Un système convectif sur un parcours de 350 kilomètres
Les tornades de Landévant et de Guéhenno du 2 septembre 2025 sont issues d'un système convectif de petite dimension, qui évolue sur le flanc occidental d’un front actif (voir paragraphe consacré au contexte météorologique) entre 3h00 TU (5h00 locales*) et 8h45 TU (10h45 locales*), ce qui conduit à une trajectoire totale d'environ 350 km.
Initié aux environs de 3h00 TU au large du Finistère sud, le système développe rapidement une circulation rotative, tout en évoluant de l'OSO vers l'ENE (245°) à une vitesse proche de 65 km/h. De 5h TU à 6h30 TU, le système produit de fortes rafales convectives (Groix, 5h19 TU ; Larmor-Plage, 5h29 TU ; Riantec, 5h34 TU ; Kervignac, 5h41 TU ; Nostang, 5h44 TU ; Pluvigner, 5h57 TU), ainsi que deux tornades (Landévant, 5h50 TU ; Guéhenno, 6h23 TU), avant de se déstructurer dans les environs de Josselin (6h32 TU). A partir de cet instant, deux noyaux convectifs distincts perdurent : le premier, qui finit par se dissiper à l'est de Ploërmel peu après 7h TU ; le second, qui persiste jusque dans l'est de la Manche où il se dissipe définitivement à 8h45 TU.
* heure locale = heure TU + 2h dans le cas présent
La chronologie de l'épisode et l'identification des phénomènes en cause sont le fruit d'un recueil de témoignages (sinistrés, mairies) enrichi de deux enquêtes de terrain : l'une, réalisée par Temps Breton le 12 septembre entre Moustoir-Ac et Guégon ; l'autre, réalisée par Keraunos le 1er octobre entre Ploemeur et Josselin. L'analyse des dommages au niveau du sol permet de conclure sur le déroulement suivant :
- dégâts généralisés sur un parcours de 30 kilomètres et une largeur de 1 à 5 km, sans axe de convergence identifiable (mais des vents progressivement orientés du SE au SO, puis au NO) : Groix, Ploemeur, Larmor-Plage, Gâvres, Port-Louis, Riantec, Locmiquélic, Merlevenez, Kervignac, Nostang (communes limitrophes également touchées mais dans une moindre mesure : Lorient, Plouhiner), avec des arbres déracinés ou sectionnés, du mobilier de jardin emporté, des objets déplacés,
- dégâts convergents et première tornade identifiée à Landévant (trajectoire de 1,9 km minimum), persistance de dégâts généralisés sur un parcours de 15 km entre Landévant, Landaul et Pluvigner,
- absence de dégâts significatifs sur un parcours de 15 km entre Brandivy, Moustoir-Ac et Colpo,
- dégâts convergents et seconde tornade identifiée à Bignan, Saint-Jean-Brévelay, Guéhenno et Guégon (trajectoire de 19,7 km),
- absence de dégâts convergents au-delà, mais persistance de rafales.
La carte ci-dessous illustre la chronologie de l'épisode venteux entre l'île de Groix et Josselin, soit sur un parcours de 80 kilomètres correspondant aux intensités les plus élevées (les horaires correspondent au passage du creux dépressionnaire de mésoéchelle) :
Illustration des dégâts rafaleux de Riantec à Kervignac :
Une première tornade à Landévant à 7h50 locales
Au NNE de Landévant, un premier axe de dégâts convergents certain est identifié sur un parcours d'au moins 1,9 kilomètre entre le sud de Kerveno le Val, Porh Val, Kerzard Izel, Kerzard Ihuel et Mane Bellec. D'une intensité EF1, la tornade provoque surtout des dommages sur la végétation et quelques propriétés.
> cliquer ici pour accéder au dossier consacré à la tornade EF1 de Landévant
Une seconde tornade à Guéhenno à 8h23 locales
Après une interruption durable des dommages entre Pluvigner et Colpo, un nouvel axe de dégâts convergents débute au SSO de Bignan, peu après le ruisseau de Kergueurh. Il est 8h12 locales. De Talforest à Kerdenis via Kervéguin et le Bézo, de nombreuses branches d'arbres sont brisées selon la même disposition qu'à Landévant. Le phénomène est toutefois moins intense (EF0) même si les dégâts sont un peu plus marqués en limite nord du couloir (nord du Bézo notamment) : clôtures endommagées, mobilier de jardin soufflé (O > E à ONO > ESE), petit arbre sectionné, pommier renversé S > N). Déjà dans ce secteur, le couloir de dommages atteint 200 à 250 m en moyenne. Plus loin, le tourbillon traverse tout un coteau du ruisseau de la Claie (Kerauffret, Lann Minsal, Talhoët) jusqu'au vallon de Moulin d'Hilary. Toujours au sein d'un couloir de 200 à 300 m de large, de nombreux conifères sont ébranchés ou sectionnés, des chênes endommagés. A l'entrée de Kerauffret, un bâtiment d'élevage présente quelques avaries : structure enfoncée, quelques trappes arrachées (à noter également des arbres déracinés et déjà débités le long de la route à Lann Minsal : ces dommages sont antérieurs à la tornade). Enfin, de part et d'autre d'une retenue d'eau limitrophe avec Saint-Jean-Brévelay, le tourbillon couche plusieurs arbres à Moulin d'Hilary (SO > NE en bordure sud, ONO > ESE en bordure nord).
A Saint-Jean-Brévelay, la tornade frôle brièvement le nord du territoire communal, avec une habitation endommagée à Quillio, et des arbres atteints à Keraulay mais de façon marginale. L'intensité EF0 est toujours retenue à l'appui de ces dommages. Il est, à cet instant précis, 8h17 locales.
Toujours en direction de l'ENE (245°), la tornade touche de nouveau le territoire de Bignan (Kergan, Kerkaer, Corn er Lann) avec quelques légers dommages sur des bâtiments agricoles. La végétation (essentiellement des chênes ou des conifères) est légèrement atteinte, avec des projections majoritaires du SO vers le NE. De Corn er Lann au Champ de Bignan via Guerizoët, presque aucune trace du phénomène n'est perceptible, hormis quelques petites branches brisées au sein d'un vaste couloir (300 mètres). Un bosquet de châtaigniers est plus spécifiquement atteint à proximité de la D155.
Arrivé sur le territoire de Guéhenno, le tourbillon se restructure nettement tandis que la trajectoire s'infléchit assez significativement vers le NE (230°). Cette réintensification se remarque d'abord à quelques mètres au-dessus du sol : plusieurs peupliers de bonne dimension sont sectionnés à mi-hauteur entre le Burgo et Lesnee Courtil. Dans ce dernier hameau, les bâtiments d'une exploitation sont faiblement atteints et les cultures touchées. Les dommages restent ceux d'une intensité EF0, mais du haut de l'échelon. A partir de la D123 (le Cognel, la Grée Robin, Casserand), le tourbillon endommage des cultures et un grand nombre d'arbres. Les premiers dégâts structurels sont observés aux Grazy, où un petit entrepôt en tôles est partiellement détruit. De Carisé jusqu'au Moulin de Châteauneuf, et tout le long de l'étang de Châteauneuf, de nombreux arbres sont déracinés ou sectionnés, avec des projections à distance. Ces dommages, qui sont observés sur une bande large de 300 à 400 m, relèvent désormais d'une intensité EF1.
A Châteauneuf, le tourbillon atteint progressivement le niveau d'intensité EF2, avec plusieurs bâtiments agricoles fortement endommagés et des tôles projetées à grande distance. On en retrouve à plusieurs centaines de mètres en direction du NE, dans un bosquet au nord de Lilléran. A la sortie du hameau, la toiture d'une habitation est arrachée en quasi-totalité avec sa lucarne à fronton bâtie en granit. Les arbres présents à proximité sont arrachés ou sectionnés, avec des projections à distance. Un peu plus loin, un mobil-home est traîné par la tornade, projeté et disloqué à une vingtaine de mètres vers le NE. L'un des deux occupants témoigne : "On était sous la couette et on a senti le mobil-home basculer, on a été soulevé du sol, dans le mobil-home" [...] "Tout s'est délité autour de nous, on a perdu le fil des événements. Des gravats se trouvaient autour de nous. Miraculeusement, on s'est réveillé en sous-vêtements, dans le champ". Il est un peu moins de 8h22 locales.
La tornade traverse ensuite un faible plateau constitué des lieux-dits de la Ville Eon, du Quillio et de Lilléran. Si les bâtiments, situés à l'extrême périphérie sud, ont peu souffert, les cultures et la végétation environnantes sont en revanche fortement atteintes. Les arbres (chênes, peupliers, châtaigniers) sont brisés ou arrachés parfois à leur base et les branches projetées à grande distance. On note également que les éoliennes présentes au NO immédiat du couloir sont mises à l'arrêt encore plusieurs jours après la tornade : il peut s'agir d'une mise en sécurité en raison des vents violents qui ont circulé à proximité. Sur la route du Quillio à la Ville Moisan, les souches déracinées s'orientent progressivement du SO > NE au NO > SE, preuve de la circulation tornadique à cet endroit. L'aspect continu de ces dommages, avec une tranchée perceptible dans le paysage jusqu'à Kerchevet, motive le maintien du classement en intensité EF2 à cet endroit.
A 8h23 locales, le tourbillon frôle la Ville Moisan par le sud (quelques dégâts sur des bâtiments, les arbres et les cultures) puis enveloppe tout le hameau de Kerchevet qui est sinistré à 100% : plusieurs toitures d'habitation partiellement arrachées, une toiture entièrement arrachée (superficie de 140 m²), hangars agricoles soufflés, une étable (d'une capacité de 30 bêtes, soit une superficie totale de 500 m²) entièrement détruite, un bâtiment de stockage effondré avec projection de roundballers à plusieurs dizaines de mètres. Les poteaux électriques et téléphoniques sont pliés à leur base et étendus au sol. Une bétaillère est retrouvée déformée au milieu d’un champ, à environ 50 mètres de son emplacement d'origine. Des éléments de l'étable sont retrouvés à un kilomètre, comme bon nombre de tôles et de débris éparpillés le long de la trajectoire en direction de la Ville Neuve. Un jeune homme est blessé après avoir reçu des projections dans sa chambre : "Quand ma fenêtre est tombée, j'ai reçu des éclats de verre, des bouts de bois." témoigne-t-il. Une autre personne subit également quelques commotions. Dans ce secteur balayé par la tornade sur un front de 450 mètres de large, l'intensité EF2 (haut de l'échelon) est ponctuellement justifiée.
Au-delà de Kerchevet, la tornade traverse un faible point culminant entre la Ville Neuve et le Mené. Une parcelle de maïs est hachée par le tourbillon à la sortie de Kerchevet, puis de nombreux débris parsèment les autres parcelles qui ne portent pas réellement les stigmates du phénomène. A la Ville Neuve, en périphérie nord, quelques bâtiments agricoles et plusieurs arbres sont atteints. Même constat au Mené, en périphérie sud. Plus loin, le tourbillon traverse un petit étang bordé d'arbres (conifères, chênes, peupliers) qui sont pour la plupart déracinés, arrachés ou sectionnés sur une largeur de 200 mètres. Ces dommages, légèrement moins spectaculaires qu'à Kerchevet, restent conformes à un niveau d'intensité EF2-.
De part et d'autre de la D778, le tourbillon traverse plusieurs massifs boisés qui sont successivement atteints, notamment à la Pérelle où un axe de convergence est identifié dans le sens de chute des conifères et des bouleaux. La tornade s'évase encore davantage, avec un couloir large de 650 m au maximum, mais une intensité moindre (EF1) et des projections moins significatives. Au sud du Guern, à la Belle Etoile, à Trévénian et à la Ville Robert, les dégâts sur les bâtiments sont mineurs (tuiles, ardoises et tôles emportées) mais la végétation reste bien endommagée. A la sortie de Trévénian notamment, plusieurs conifères sont couchés (ESE > ONO), et des arbres étêtés dans les bois situés au nord du hameau.
A Guégon (8h27 locales), le tourbillon aborde le lieu-dit Bodégan, où plusieurs petites constructions sont touchées : un bâtiment d'environ 60 m² légèrement déplacé, un hangar de 350 m² détruit (ce dernier présentait des points de fragilité manifestes). Les parcelles boisées qui précèdent le lieu-dit sont également touchées (arbres déracinés ou sectionnés). En frôlant Kersého par le NO, le tourbillon, toujours très évasé (400 à 500 m), prend la direction du Bois-Liscaut où une parcelle boisée est touchée dans toute sa largeur (200 m). Les arbres sont principalement ébranchés, rarement déracinés, ce qui permet de constater une rétrogradation du phénomène en intensité EF0+. Une tôle est retrouvée au pied d'un arbre de cette même parcelle, et pourrait provenir de Bodégan (distant de 600 m à l'OSO). Dans le hameau du Bois Liscaut proprement dit, une tôle de la toiture d'une petite construction est pliée (S > N). Dans le bois contigu, les arbres sont régulièrement ébranchés.
Toujours dans la direction du NE (230°), le tourbillon, en cours de dissipation, marque encore sa présence dans une haie bocagère située à 400 mm au SSO de Saint-Gildas, avec des dégâts qui relèvent d'une intensité EF0. Les pieds de maïs des parcelles environnantes sont également inclinés. A Saint-Gildas, à la Ville Ville et aux Touches, des branches sont encore brisées sur un vaste périmètre de 300 m voire davantage. Des fragments de laine de verre sont retrouvés jusque sur le toit d'un bâtiment d'élevage de la Ville Ville. A la Ville Daniel, un hangar (déjà fortement endommagé avant la tornade) perd un élément de faîtage. Quelques branches sont encore brisées. Les dernières traces du tourbillon sont identifiées entre le nord du bois de Coët By jusqu'aux Bourbalets, où d'ultimes branches sont brisées. Au-delà de ce secteur, plus aucune trace de dégâts convergents n'est détectée, après une trajectoire totale de 19,7 km. Il est alors 8h30 locales.
* * *
En conclusion, la tornade de Guéhenno - comme celle de Landévant - présente toutes les caractéristiques d'un phénomène à circulation large, avec des aspirations périphériques marquées. Au sein de cet axe de convergence fortement asymétrique, le couloir de dommages, d'une largeur moyenne de 350 mètres, présente en plusieurs points un évasement notable (jusqu'à 650 mètres) avec une prédominance de dégâts orientés SO > NE, S > N, SE > NO voire ESE > ONO. Il faut rejoindre la périphérie NO du couloir pour trouver une orientation plus proche du flux (OSO > ENE) puis perpendiculaire à ce dernier (ONO > ESE et même NO > SE).
L'intensité maximale retenue (EF2+) repose sur les dommages infligés aux toitures, sur la destruction complète d'un bâtiment d'élevage et sur les projections à distance observées à Kerchevet. L'intensité EF2 est par ailleurs conservée sur un parcours durable de 2,6 km entre Châteauneuf et le nord du Mené. Partout ailleurs, les dégâts relèvent généralement d'une intensité EF1/EF1+ (3,8 km en cumulé) ou d'une intensité EF0/EF0+ (13,3 km). Au-delà du bilan matériel très lourd et des dommages constatés sur la végétation et les cultures, la tornade ne blesse que 4 personnes : 2 dans le mobil-home entraîné par le tourbillon à Châteauneuf, 2 autres à Kerchevet. Aucune victime animale n'est recensée, la plupart des troupeaux étant à l'extérieur au moment des faits, y-compris à Kerchevet où l'étable détruite était inoccupée.
* Nous tenons à remercier la mairie de Guéhenno pour la fourniture d'un inventaire précis des dommages observés sur le territoire communal.
Photographies des principaux dommages :
Analyse de la situation météorologique
Les tornades de Landévant et de Guéhenno se sont formées au sein d'un flux océanique perturbé, sur le flanc occidental d'un vaste thalweg d'altitude qui s'étire des îles britanniques jusqu'à l'Algérie à l'aube du 2 septembre. Dans ce contexte, une branche de jet pénètre progressivement sur l'ouest de la France au cours de la nuit précédente, avec des vents de NO qui dépassent 200 km/h à 250 hPa (vers 10.000 m d'altitude) sur la pointe bretonne à 08h locales.
C'est dans ce très rapide flux d'altitude que circule un forçage secondaire. Celui-ci se présente sur la Bretagne en fin de nuit, sous la forme d'une anomalie basse de tropopause dynamique qui plonge depuis l'Irlande pour balayer la Bretagne en début de matinée (axe de couleur violet foncé sur la carte ci-dessous). Elle est associée à un thalweg de courte longueur d'onde à l'étage moyen, bien identifiable à 500 hPa dans les réanalyses ERA5.
Ce forçage d'altitude apparaît de manière très nette sur les images satellite en canal vapeur d'eau. L'anomalie basse de tropopause et les intrusions sèches associées en altitude sont en effet mises en évidence par des zones sombres sur l'imagerie satellite, cerclées en bleu sur les deux images ci-dessous (06h30 et 07h30 locales). Le système convectif à l'origine des deux tornades est pour sa part ciblé en rouge. On remarque qu'il se forme juste sur le bord d'attaque de l'anomalie d'altitude, dans sa pointe sud-est - la plus dynamique dans cette situation -, et évolue ensuite vers le NE en glissant à l'avant immédiat du forçage d'altitude.
Afin d'analyser plus en détail les interactions entre ce puissant forçage d'altitude et la dynamique à l'oeuvre près du sol, un reforecast a été réalisé avec le modèle WRF-ARW en résolution 3 km, initialisé sur les conditions ERA5. Il confirme entre autres la présence en basses couches d'un afflux d'air très doux et très humide, d'origine tropicale, le long d'un axe Portugal - Bretagne. Cette onde de thêta'w > 16°C à 950 hPa circule à l'avant d'un front froid, qui se rabat par l'ouest (voir carte ci-dessous, plages beige/orange). Ce front est piloté par une dépression de surface en cours de transit à proximité des Cornouailles ; le thalweg de surface associé est surtout marqué à proximité de la Bretagne (avec des baisses de pression significatives, en plage de couleurs bleue sur la carte ci-dessous). Le modèle réagit plus particulièrement aux abords du Morbihan, où il génère une méso-dépression fermée, greffée sur la limite frontale (ciblée avec la flèche verte). C'est précisément ce qui a pu être observé dans la réalité : les relevés de pression et de vent des stations les plus proches, ainsi que les indications données par les images radars, mettent en effet en évidence une circulation rotative large et fermée, témoin du transit d'un minimum secondaire de petite dimension sur ce secteur.
En somme, ces éléments de contexte dessinent une configuration dynamique très marquée, caractérisée par :
- une pénétration du bord d'attaque d'une anomalie de tropopause,
- un flux général en haute altitude divergent, en sortie gauche d'une rapide branche de jet,
- une circulation en basses couches d'une onde de thêta'w élevées (air chaud et humide), avec tête d'onde dans le Morbihan,
- en réaction, le creusement d'une méso-dépression au sud de la Bretagne, gagnant le Morbihan à l'aube.
La mise en phase de ces forçages est optimale durant environ 2 heures et permet la formation d'un système convectif actif, qui se développe dans un environnement pourtant assez marginalement instable. Les valeurs de MUCAPE peinent en effet à dépasser 300 J/kg dans la zone la plus dynamique où ont été observées les tornades, avec des MULI à peine négatifs (carte ci-dessous à droite). De fait, il n'a pas été détecté d'activité électrique au sein de ce système convectif, en dépit de sa forte dynamique interne. Il s'agit là d'un élément original pour un épisode tornadique de cette intensité.
L'image satellite infrarouge de 07h30 locales, ci-dessous à gauche, montre la présence du système convectif tornadique sous une forme semi-globulaire, avec des sommets plus froids (et donc plus élevés) que les autres masses nuageuses situées au nord, à l'est et au sud. De l'air nettement plus sec progresse par l'ouest, sur l'ensemble du Finistère, l'ouest du Morbihan et l'ouest des Côtes-d'Armor.
Le caractère convectif de ce système est confirmé par la morphologie des sommets nuageux telle qu'elle apparaît dans l'imagerie satellite en canal visible (ci-dessous à droite). Les premières images exploitables sont celles de 07h50-08h00, au moment du lever du jour, quelques instants avant la formation de la tornade de Guéhenno.
Les cisaillements associés à cette situation sont par ailleurs très significatifs. Le reforecast déploie notamment un vaste réservoir de fortes valeurs de SRH au sein de l'onde de thêta'w, avec une SRH 0-500 m qui excède localement 200 m²/s² dans le Morbihan (ci-dessous à gauche). Conséquemment, malgré une instabilité latente modeste, les indicateurs de potentiel tornadique réagissent nettement, comme le Tornado Index par exemple, qui identifie pour les zones terrestres un risque principalement centré dans le Morbihan. Le potentiel théorique d'intensité maximale ressort d'ailleurs, de manière pertinente, au niveau EF2 sur la zone concernée par la tornade de Guéhenno (indicateur expérimental développé par Keraunos pour la prévision fine des tornades).
Une reconstitution du profil vertical pour le Morbihan le 2 septembre à 08h locales a été réalisée sur la base des données d'observation et de réanalyse (ci-dessous à gauche). Il confirme la présence de basses couches très douces et saturées en humidité (jusqu'à 3.000 mètres d'altitude environ), surplombées par une circulation d'air sec aux étages moyens et supérieurs. La présence de cet air sec a sans doute contribué à la dynamique du système convectif et à son évolution tornadique, comme on le verra plus loin.
L'instabilité résultante est modeste, principalement concentrée dans les basses couches d'une part, et entre 3.000 et 5.000 mètres d'altitude d'autre part.
L'hodographe présente pour sa part une structure étirée et incurvée, typique des environnements très fortement cisaillés en basses couches. Les valeurs de SRH excèdent 300 m²/s² sur 0-1 km, et 400 m²/s² sur 0-2 km et 0-3 km, soit des niveaux particulièrement propices à la formation de phénomènes tourbillonnaires, sous réserve d'une instabilité suffisante.
Enfin, il est à noter que le potentiel de tornade a pu être identifié en temps réel grâce à l'outil de profilage de Keraunos. Cet outil permet de reconstituer les profils verticaux sur l'ensemble de la France, toutes les 6 minutes, sur la base des données d'observation en temps réel et des données de modèles à très courte échéance et à haute résolution. Les résultats sont disponibles en quelques minutes et permettent un suivi en direct des risques météorologiques.
Le graphique ci-dessous présente les résultats des diagnostics d'instabilité, d'hélicité et de potentiel tornadique effectués le 2 septembre, toutes les 6 minutes, entre 04h24 et 06h42 TU (06h24 et 08h42 locales), pour les environs de Bignan, dans le Morbihan. On note la présence d'un fort pic de potentiel de tornade à 06h12 TU, soit quelques instants avant le passage de la tornade sur ce secteur.
Analyse de la cellule convective
L'analyse des images radars permet de retracer l'évolution détaillée du système convectif à l'origine des tornades de Landévant et de Guéhenno.
L'animation radar générale, ci-dessous, présente les réflectivités par intervalles de 5 minutes, entre 06h00 et 09h20 locales. Elle illustre la chronologie globale de l'épisode, et met en évidence la circulation du système convectif dans le Morbihan, greffé sur le flanc occidental d'un axe frontal actif. Les trajectoires respectives des deux tornades sont balisées par des traits noirs épais.
L'épisode tornadique trouve sa source vers 05h00 locales, au large SSO du Finistère. C'est à cette heure en effet qu'une intensification localisée des réflectivités est identifiée au sein d'un amas nuageux modérément pluvieux. Ce système s'étire alors dans le flux au cours des 40 minutes suivantes, en conservant une intensité modérée, et en faisant route en direction du Morbihan. A partir de 05h40, le système commence à s'intensifier sur son flanc ouest, signe de l'amorçage d'une rotation structurée. A partir de 06h15, la rotation prend de l'ampleur, et le système commence à présenter un pseudo front chaud et un pseudo front froid, qui s'enroulent tous deux autour d'un minimum qui se positionne de plus en plus sur le flanc sud-ouest de la structure. Dès 06h40, les courants descendants commencent à présenter des signes d'intensification au sud de la zone de rotation principale. A partir de 07h05, ces courants descendants s'intensifient encore davantage et un RIJ (Rear Inflow Jet) se constitue sur le flanc sud des courants ascendants principaux, vraisemblablement à la faveur des fortes intrusions d'air sec qui circulent en altitude sur la zone au même moment (cf. l'analyse du profil vertical).
A 07h20 (images ci-dessous), la structure entre dans le Morbihan, avec un pseudo front chaud déjà enfoncé dans les terres, un pseudo front froid qui aborde Lorient et Locmiquélic, tandis que le coeur de la rotation, sous la forme d'une occlusion, circule aux abords de Ploemeur, sur le flanc SO du système. Durant cette première phase, la structure est principalement dominée par les courants descendants, qui sont structurés en un RIJ dont la trace est bien visible sur les vitesses radiales au moment où il circule sur l'île de Groix (ci-dessous à droite, encadré rouge, couleur bleu = vent > 110 km/h). La circulation générale rotative est bien identifiable, mais elle reste pour le moment peu concentrée, avec un gradient de vitesses radiales peu resserré, malgré une amorce d'accentuation à l'avant du pseudo front chaud (couleur rosée, encadrée en rouge). Ces éléments confirment que les puissantes rafales de vent et les divers dégâts observés à ce moment-là sont essentiellement liés aux courants descendants.
Une deuxième phase s'amorce au cours des minutes qui suivent. Les images radars Doppler témoignent en effet d'une concentration progressivement plus nette de la circulation rotative. Sous l'effet du RIJ, la convergence s'accroît peu à peu, et les vitesses radiales positives (couleur rouge) s'accentuent tout en migrant de plus en plus nettement vers l'ouest, en direction de l'occlusion. Dans le même temps, l'air sec lié au RIJ progresse et les réflectivités radars évoluent pour dessiner un crochet de plus en plus marqué sur le flanc ouest du système.
A 07h50 (images ci-dessous), un noyau de vitesses radiales positives s'isole au plus près du minimum, témoin d'une accélération très nette de la rotation à cet endroit. Un dipôle bien structuré est alors identifiable (cerclé en rouge ci-dessous à droite) ; le système convectif devient tornadique et une tornade s'abat à Landévant à cet instant. La structure crochetée est très bien dessinée dans les images de réflectivité. On note par ailleurs le maintien de forts courants descendants dans le quadrant sud-est de la structure, ce qui est cohérent avec les dommages non tornadiques observés dans cette zone.
Au cours des minutes qui suivent, la circulation rotative tend à se distendre, sous l'effet principalement des courants descendants, qui redeviennent prédominants. Les images de vitesses radiales témoignent certes du maintien d'une circulation rotative au sein du système convectif, mais avec une intensité temporairement moindre.
Néanmoins, à partir de 08h05, une troisième phase débute. Les réflectivités s'accentuent de nouveau sur le flanc sud-ouest du système, tandis qu'une nouvelle salve de courants descendants semble s'initier au sud du minimum. A partir de 08h15, un nouveau RIJ commence à se dessiner sur le flanc sud de la zone de rotation, et prend de l'ampleur à 08h20.
A 08h25 (images ci-dessous), le RIJ perfore la structure au sud immédiat du noyau convectif principal ; le système se déforme, un nouveau pseudo front froid se développe et impose alors à la structure une forme en S, typique des systèmes convectifs rotatifs. Dans le même temps, la circulation rotative située au nord immédiat du RIJ s'accélère et se concentre de nouveau ; de fortes vitesses radiales positives progressent vers le minimum et un dipôle très net se reconstitue. Une nouvelle phase tornadique se déclenche, avec une intensité significative à Guéhenno et ses environs au moment de ces images.
L'intensité du RIJ va toutefois être telle qu'elle disloque le système convectif à partir de 08h30. Pulvérisé par des courants descendants trop puissants, la structure se scinde alors en deux parties et la rotation se désagrège rapidement, mettant un terme à l'épisode tornadique. La portion nord conservera toutefois une certaine activité jusqu'en Manche.
Prévision de l'épisode
Le contexte météorologique de ce 2 septembre à l’aube avait été identifié comme potentiellement propice aux tornades. Ainsi, le bulletin de prévision des orages émis le 1er septembre à 8h mentionnait un faible risque d'orage en Bretagne en deuxième partie de nuit du 1er au 2 septembre, avec un potentiel tornadique non négligeable : "La nuit prochaine, une perturbation active abordera la Bretagne. Elle pourra s'accompagner de quelques orages, avec possibilité d'un phénomène tourbillonnaire isolé."
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