Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF3 à Etrochey (Côte-d'Or) le 19 juin 2013

Le 19 juin 2013, vers 17h40 locales, une tornade de forte intensité (EF3) frappe le nord de la Côte-d'Or, et plus particulièrement le territoire d'Etrochey. Il s'agit de la plus forte tornade recensée en France depuis la tornade EF4 de Hautmont du 3 août 2008.
 
L'identification de cette tornade a nécessité un travail de reconnaissance sur le terrain particulièrement délicat, dans la mesure où elle s'est accompagnée d'une vaste macrorafale, elle-même composée d'une trentaine de microrafales. La zone sinistrée s'étend ainsi sur plus de 10 000 hectares, ce qui a nécessité 3 jours d'enquête pour l'équipe de Keraunos déployée sur place.

Au terme de ces analyses, il est apparu que la multitude de dommages non tornadiques identifiés sur la zone inspectée sont organisés de part et d'autre d'un couloir de dégâts de nature différente, causés par un phénomène de tornade de forte puissance.
 

Principales caractéristiques de la tornade

Tornade EF3 d'Etrochey (21) le 19 juin 2013.intensité maximale :  EF3, soit des vents estimés entre 220 km/h et 270 km/h
* distance parcourue : 14 kilomètres
* largeur moyenne : 250 mètres

* communes traversées : POINCON-LES-LARREY (les Loges, scierie), BOUIX (les Couriaux, la Croix, les Champs aux Moines), ETROCHEY (la Combe, D118, la Seine, carrière), MONTLIOT-ET-COURCELLES (Montliot), MASSINGY
* département : COTE-D'OR (21)
* altitude moyenne du terrain : 230 mètres
* type de terrain : territoires agricoles, prairies, tissu urbain discontinu

* principaux dégâts : pylônes électriques en béton brisés ; arbres feuillus adultes dépouillés et écorcés; pieds de colza couchés, dépouillés, voire arrachés de terre sans qu'on en retrouve la trace ; projection de tuiles à 500 mètres ; objets lourds (portails d'habitation, chalets de jardin, morceaux de toitures) retrouvés à grande distance pulvérisés ou sérieusement endommagés ; un pan entier de construction d'un corps de ferme rasé ; une habitation dont les fondations ont été ébranlées; toiture arrachée entièrement avec un mur-pignon ; une stèle d'une tonne déplacée ; barres en fer arrachées  et plantées profondément dans le sol, à 70 mètres de leur emplacement d'origine ; plusieurs hangars agricoles ou petites habitations en dur, soufflés ou rasés entièrement. Au total, une vingtaine de maisons ont été sévèrement endommagées, 40 ont été sinistrées et environ 150 affectées à des degrés divers. Par miracle, on ne compte qu'un blessé léger.
 
NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée. Cette version de l'échelle EF, mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen. 
 

Parcours de la tornade

© Keraunos (fond de carte : Géoportail)
 

Une tornade incluse au sein d'une macrorafale

Une enquête de terrain a été effectuée par Keraunos afin de déterminer la nature exacte du phénomène. Les principaux dégâts observés couvrent une superficie de plus de 10 000 hectares, délimités par GommévilleChâtillon-sur-Seine et Laignes. Incontestablement, une puissante macrorafale a provoqué des dommages diffus et parfois significatifs sur cette zone : arbres déracinés ou brisés net, vergers ravagés, toitures endommagées (un exemple ci-contre). Le front de dégâts atteint entre 3 et 10 kilomètres de largeur, pour une profondeur de 18 kilomètres.


Toutefois, un
couloir de dégâts très délimité a progressivement été mis en évidence entre Etrochey et Montliot-et-Courcelles, puis entre le sud de Poinçon-lès-Larrey et Massingy, soit sur une distance de plus de 14 kilomètres au total. Bien isolé des autres dégâts, ce couloir est apparu dans la portion sud de la zone dévastée par la macrorafale dans son ensemble.  

La mise en évidence d’une très forte convergence du flux de surface dans ce couloir a permis de valider sans conteste le passage d'une tornade sur le secteur. Le chemin parcouru par le tourbillon a notamment été rendu visible par un sillon tracé dans les champs entre l'ouest d'Etrochey et le nord-est de Montliot-et-Courcelles. En amont et en aval de ce sillon, les traces sont plus ponctuelles. La tornade, d'une trajectoire totale de 14 kilomètres, s'est donc déplacée du Sud-Ouest vers le Nord-Est, avec quelques déviations. Localement sur le secteur d'Etrochey, la largeur totale du couloir de dégâts atteint près de 400 mètres et se rétrécit à hauteur de 250 mètres au nord de Montliot-et-Courcelles.

Répartition générale de la macrorafale et de la tornade EF3 du 19 juin 2013, dans le Châtilonnais :
 
NB : certains dommages mineurs ou très périphériques ne figurent pas sur cette carte, afin d'en alléger la lecture
© Keraunos (fond de carte : Google Maps)
 
Il s'agit du seul cas récent de tornade en France à s'être produit en association avec une macrorafale. Ceci lui confère une réelle originalité. Cette conjonction de rafales descendantes et de tornade a d'ailleurs rendu le travail d'analyse sur le terrain particulièrement délicat, tant les dommages sont multiples, étendus et divers, ce qui par ailleurs se traduit par des témoignages très variés et parfois en apparence contradictoires.
 

Vue panoramique de la trajectoire de la tornade entre Bouix et Montliot-et-Courcelles

La vue panoramique ci-dessous permet de visualiser une partie de la trajectoire suivie par la tornade. Cette dernière a transité de la droite vers la gauche.

On identifie assez aisément le sillon laissé par le tourbillon au niveau du sol sur une partie significative de sa trajectoire ; ce sillon est rendu visible par sa couleur légèrement plus claire (le second panorama assombri et renforcé dans ses contrastes permet de l'identifier plus facilement).
 

Panorama de la trajectoire suivie par la tornade entre Bouix et Montliot-et-Courcelles. (c) KERAUNOS
© Keraunos - Reproduction interdite
 
 
Panorama de la trajectoire suivie par la tornade entre Bouix et Montliot-et-Courcelles. (c) KERAUNOS© Keraunos - Reproduction interdite

Analyse de l'intensité de la tornade

Si l'essentiel des dégâts relèvent de l'intensité EF1 ou EF2 (toitures enlevées, arbres brisés net, faibles projectiles emmenés à distance), plusieurs indices ont conduit à retenir une intensité EF3 pour le phénomène en deux points bien distincts et particulièrement endommagés.

1 : sur le secteur d'Etrochey

- un bâtiment de corps de ferme, bâti en pierre de taille, est entièrement détruit,
- sur la D118, des poteaux électriques en béton sont sectionnés à mi-hauteur ou rompus à la base,
- sur les rives de la Seine, plusieurs arbres feuillus adultes sont dépouillés et écorcés. Pas une seule feuille n'a été retrouvée sur les branches mutilées,
- au même endroit, un lourd portail de clôture de plusieurs dizaines de kilos, est retrouvé à moitié tordu par le vent, à cent mètres de son emplacement d'origine,
- des tuiles sont retrouvées fichées dans le sol à 500 mètres de leur emplacement.

2 : sur le secteur de Montliot-et-Courcelles

A proximité immédiate d'une habitation dont la toiture et un mur-pignon sont entièrement arrachés, une stèle d'une tonne a été descellée et déplacée sur quelques mètres. Non loin de là, des barres en fer solidement accrochées ont été arrachées et plantées profondément dans le sol, à 70 mètres de leur emplacement d'origine. Enfin, les débris de la toiture de l'habitation sinistrée, ainsi que le chbalet de jardin attenant, ont été retrouvés à plusieurs centaines de mètres dans un champ situé en léger contrebas.

Ces dégâts relèvent de l'intensité EF3 (bas de l'échelon).   
 

Photographies des dégâts

 
 © KERAUNOS / C. FERRE - D. DUMAS - P. MAHIEU - E. WESOLEK - LE BIEN PUBLIC
 

Analyse des images radar et de l'organisation de la cellule orageuse

L’analyse des images radar permet de mettre en lumière les mécanismes à l’œuvre lors de cette tornade. La présence conjointe d’une macrorafale et d’une tornade est en effet peu commune, et le mécanisme qui lie les deux est intéressant à sonder.

De fait, il apparaît que la tornade s’est formée sous une structure de nature supercellulaire, dont la naissance peut être identifiée environ une heure plus tôt, vers 16h45, à la frontière entre l’Yonne et la Côte-d’Or. Rapidement, la cellule orageuse prend de l’ampleur et dévie sur la droite du flux moyen.

Vers 17h10, elle entre franchement sur le territoire de la Côte-d’Or et se dirige rapidement vers le secteur de Châtillon-sur-Seine. Le courant descendant avant se renforce alors assez nettement, suivi peu après, vers 17h30, d’un renforcement du courant descendant arrière. Il semble alors que la supercellule entre en phase HP, avec un courant descendant arrière extrêmement précipitant qui vient envelopper en quelques minutes le mésocyclone.

Analyse de l'image radar (réflectivités composites) du 19 juin 2013 à 17h45 locales. (c) KERAUNOS [image radar Météo Suisse]

Il est alors environ 17h40 à 17h45, heure à laquelle la tornade se forme. L’image radar de réflectivités composites (voir ci-contre), gracieusement communiquée par Météo Suisse, permet d’identifier un courant descendant arrière (RFD) fortement enflé et arqué, au sein duquel s’enfonce un axe de faibles réflectivités. La tornade (T) se forme alors selon toute vraisemblance sur le flanc nord-ouest du RFD, soit dans le prolongement direct du mésocyclone, vraisemblablement entré dans une phase d’occlusion à ce moment-là. Le RFD lui-même génère un premier axe de très fortes rafales de vent, des pluies intenses et des grêlons de 4 à 5 cm.

Juste au nord, le courant descendant avant (FFD) devient lui aussi très actif et génère également de violentes rafales de vent.

L’ensemble génère ainsi un premier axe de macrorafale lié au FFD, qui circule au nord de la tornade ; et un second axe de macrorafale lié au RFD, qui se déploie à l’ouest de la tornade puis sur son flanc sud.

Cette organisation, typique d’une supercellule HP, explique le fait que la tornade ait été précédée et suivie par d’intenses précipitations et de la grêle, environnée par des rafales descendantes violentes, et rendue invisible par cet environnement précipitant qui la dissimulait par des rideaux de pluie très denses.

Photographies de la cellule orageuse

Laetitia GIBAUD, chasseuse d'orages, était présente à environ 5 km au nord-est de Châtillon-sur-Seine lorsque la tornade a touché le sol. Elle a ainsi pu photographier le courant descendant arrière (RFD) de la supercellule au moment même où elle entrait en phase tornadique. On voit parfaitement sur ces deux clichés que le RFD est massif et extrêmement précipitant, enserrant et dissimulant le coeur du mésocyclone.

Le cliché de gauche est pris à 17h38, heure approximative du début de la tornade ; le cliché de droite est pris à 17h43, heure à laquelle la tornade devait être au maximum de sa puissance. L'axe de prise de vue est dirigé vers le sud-ouest. On aperçoit donc le RFD par la tranche, sur son flanc oriental, soit la zone confrontée à la macrorafale sud. La tornade évoluait pour sa part hors champ, à environ 70° sur la droite de ces prises de vue, et se trouvait enveloppée par le RFD ("rain-wrapped tornado").

 
 
Les deux clichés ci-dessous montrent la progression de la supercellule entre à 17h43 et 17h45. L'ambiance devient réellement apocalyptique à l'approche du RFD, qui produira sur place de fortes rafales de vent, des grêlons de 1 cm et une pluie intense.


La supercellule a également pu être photographiée environ une demi-heure plus tôt, alors qu'elle était encore en phase de développement :

 

Analyse de la situation météorologique

La journée du 19 juin 2013 est marquée par une dégradation orageuse sévère avec de nombreux orages violents et quelques orages extrêmes.

Un minimum d'altitude en position entre le Golfe de Gascogne et le sud-ouest de la France depuis plusieurs jours remonte sur le centre et l'est du territoire dans l'après-midi du 19. De fait, le flux a nettement gagné en dynamisme sur l'est de la France au fil de cette journée, grâce à l'effet conjoint d'un cyclonisme de plus en plus prononcé et d'une diffluence associée qui s'est renforcée en entrée droite d'un jet-streak circulant du Centre à la Bretagne.


Ce forçage d'altitude massif ne circule que très lentement et favorise donc l'entretien et la pérennité de la convection profonde sur tout le nord-est de la France.

Ce forçage est venu s'appliquer en fin de journée sur une masse d'air extrêmement instable. Le profil reconstitué sur la base des relevés de la station météorologique de Châtillon-sur-Seine pour les données de surface, et sur la base des données de réanalyse et du modèle WRF pour les données d'altitude, fait ressortir une MUCAPE supérieure à 5000 J/kg, une MLCAPE dde 2851 J/kg et un MULI de -13K. Les valeurs de MLLI ont atteint -10K à 9.000 m d'altitude selon la simulation de WRF.
Ces valeurs témoignent de l'extrême instabilité de la masse d'air ce 19 juin sur l'ensemble du profil atmosphérique. Les points de rosée de 23°C relevés à Dijon ou à Châtillon-sur-Seine au coeur de l'après-midi confirment la très forte humidité de la masse d'air.


Conjointement à ce profil atmosphérique très instable, l'environnement s'est montré favorablement cisaillé (plus de 20 m/s sur les 6 premiers kilomètres de l'atmosphère). Il apparaît que l'hélicite relative 0-3 km de 239 m²/s² était très favorable à la genèse de supercellules. En très basse couche, les cisaillements se sont également révélés favorables au développement de la tornade, la SRH 0-1 km atteignant 132 m²/s² dans le profil reconstitué.


La carte pointée ci-dessous fait par ailleurs apparaître que le nord de la Côte-d'Or et le sud de la Champagne étaient soumis à un contexte dépressionnaire en surface, et dès lors fortement convergent.


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