Observatoire français des tornades et orages violents

Décembre 1879 : quelques orages malgré un mois glacial

Le mois de décembre 1879 s'illustre dans les annales climatologiques françaises par la vague de froid exceptionnelle qui l'a marqué, notamment sur les deux-tiers nord du pays. Malgré des températures polaires, quelques orages ont réussi à se développer sur la France, en particulier dans les premiers et les derniers jours du mois.

 
Carte du mardi 9 décembre 1879 : températures mesurées et évolution par rapport à la veille.
Températures mesurées le 9 décembre 1879 et évolution par rapport à la veille (Bulletin international du Bureau Central Météorologique de France).
 

Un mois marqué par des températures exceptionnellement basses

Le grand froid qui s'est abattu sur une grande partie de la France dès le début de l'hiver 1879-1880 a sans aucun doute été alimenté et entretenu par un manteau neigeux important, présent sur la plupart des régions durant une grande partie du mois de décembre. Cette couverture neigeuse est pour l'essentiel consécutive à un épisode neigeux intense survenu dans les premiers jours de décembre, et que la presse de l'époque a abondamment évoqué. Le Petit Journal notamment, dans son édition datée du 10 décembre 1879, décrit la sévérité des chutes de neige qui sont rapportées entre autres en Mayenne durant la journée du 4 décembre 1879 : "La neige a fait son apparition à Laval et dans le département, hier, d'une façon épouvantable. De mémoire d'homme, il n'en était jamais tombé une si grande quantité en si peu de temps. Notre pays s'est couvert en 18 heures d'une couche de trente centimètres ; elle atteint 1 mètre et plus dans certains endroits, poussée qu'elle était par des rafales de vent soufflant en tempête. Ajoutez à cela un froid de 5 à 6 degrés au-dessous de zéro. Les communications sont interrompues ; les trains sont restés en route ; celui de Paris, qui arrive le matin à trois heures, n'est pas encore arrivé, et il est six heures du soir.
Un grand malheur est venu frapper une intéressante famille. Le nommé Bellanger, facteur des postes, a été trouvé mort de froid dans les neiges, ce matin. Il laisse une veuve et deux enfants en bas âge."

Ces chutes de neige, auxquelles a succédé un flux continental anticyclonique et sec, ont suffi à créer un contexte particulièrement propice à un refroidissement intense des très basses couches de l'atmosphère. Ce grand froid a persisté presque tout le mois, tout particulièrement entre les régions centrales et celles du nord-est. Les plus basses températures sont observées dans les Vosges, avec des valeurs inférieures à -30°C, localement jusqu'à -32°C dans certains petits vallons. En proche banlieue parisienne, le thermomètre s'effondre jusqu'à -25,6°C dans la nuit du 9 au 10. La station située sur la commune de Commercy, dans la Meuse, enregistre pour sa part 13 fois une température inférieure à -20°C durant ce seul mois ! Quant à la station du Parc Montsouris à Paris, elle cumule 17 jours avec température minimale inférieure à -10°C.
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Relevés météorologiques de la station de Saint-Maur, le 10 décembre 1879 à 01h du matin. Relevés de la station météorologiques de Saint-Maur, le 10 décembre 1879, faisant état d'une température exceptionnelle de -25,6°C à 01h du matin.
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Le tableau ci-dessous récapitule les températures minimales mensuelles enregistrées par les stations météorologiques à l'époque, et reconstituées à partir des divers bulletins climatiques et annales édités durant ces années. Parmi elles, 48 stations bénéficient de relevés quotidiens ; elles apparaissent en couleur rouge et sont consultables dans le détail en cliquant sur les liens dédiés :
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Station  Tnn    Station Tnn    Station Tnn   Station Tnn
Brouvelieures (88)  -32,0°C   Bar-sur-Seine (77)  -21,6°C   Rodez (12)  -15,5°C   Montauban (82)  -9,5°C
Le Tholy (88) -32,0°C   Cluny (71) -21,5°C   Grenoble (38) -15,5°C   Cap Gris-Nez (62) -9,0°C
La Chapelle-aux-B. (88) -32,0°C   Amiens (80) -21,0°C   Poitiers (86) -14,9°C   Pte St-Mathieu (29) -9,0°C
Remiremont (88) -31,0°C   Barcelonnette (04) -21,0°C   Ste-Honorine-du-F. (14) -13,4°C   Biarritz (64) -9,0°C
Grandrupt (88) -30,0°C   Metz (57) -20,7°C   Caen (14) -13,3°C   Tarbes (65) -9,0°C
Gigny (88) -30,0°C   Laval (53) -20,6°C   Valence (26) -13,0°C   Carcassonne (11) -8,8°C
Xertigny (88)  -29,0°C   Versailles (78)  -20,4°C   Villasavary (11)  -12,3°C   Avignon (84)  -8,6°C
Mirecourt (88) -29,0°C   Chaumont (52)  -20,0°C   Privas (07)  -12,0°C   Arques (11)  -8,5°C
Senlis (60)  -28,0°C   Le Puy-en-Velay (43)  -19,3°C   Ile-d'Aix (17)  -12,0°C   Nîmes (30)  -8,5°C
Melun (77) -27,6°C   Lille (59) -19,0°C   Carpentras (84) -12,0°C   St-Martin-de-Hinx (40) -8,2°C
Commercy (55) -27,0°C   Mâcon (71) -19,0°C   La Roche-sur-Yon (85) -11,9°C   St-Denis-d'Oléron (17) -8,0°C
Charleville-M. (08) -27,0°C   Besançon (25) -18,6°C   Foix (09) -11,7°C   Draguignan (83) -8,0°C
Epinal (88) -26,6°C   Le Mans (72) -18,5°C   Montolieu (11) -11,5°C   Cap de la Hague (50) -7,0°C
Varzy (58) -26,3°C   Alençon (61) -18,5°C   Sauzils (11) -11,5°C   Bordeaux (33) -7,0°C
St-Dié-des-Vosges (88) -26,0°C   Rennes (35) -18,4°C   Lespinassière (11) -11,3°C   Groix (56) -6,0°C
Saint-Maur (94) -25,6°C   Belfort (90) -18,3°C   Apt (84) -11,3°C   Cannes (06) -6,0°C
Chalons-en-Ch. (51) -25,1°C   Rouen (76) -17,8°C   Montpellier (34) -11,2°C   Brest (29) -5,0°C
Evreux (27) -25,0°C   Lyon (69) -17,8°C   Boulogne-sur-Mer (62) -11,0°C   Belle-Ile-en-Mer (56) -5,0°C
Nancy (54) -25,0°C   Lons-le-Saulnier (39) -17,5°C   Sainte-Adresse (76) -11,0°C   Perpignan (66) -4,2°C
Troyes (10) -25,0°C   Orcines (63) -16,8°C   Marseille (13) -10,4°C   La Seyne-sur-Mer (83) -4,0°C
Moulins (03) -24,2°C   Clermont-Ferrand (63) -16,8°C   Toulouse (31) -10,2°C   Boutenac (11) -4,0°C
Paris (75) -23,9°C   Villefranche-sur-S. (69) -16,8°C   La Rochelle (17) -10,0°C   Perpistdo (66) -3,6°C
Chartres (28) -23,5°C   Pic du Midi (65) -16,7°C   Cherbourg (50) -10,0°C   Ouessant (29) -2,0°C
Thionville (57) -23,0°C   Ernée (53) -16,7°C   Lorient (56) -10,0°C   Nice (06) -1,6°C
Mulhouse (68) -22,4°C   Annecy (74) -16,1°C   Fraisse-Cabardès (11) -10,0°C   Cap Béar (66) 0,0°C
Beauvais (60) -22,4°C   Gap (05) -16,0°C   Aix-en-Provence (13) -10,0°C      
Bourges (18) -22,0°C   Laon (02) -16,0°C   Rochefort (17) -9,8°C      
Loches (37) -22,0°C   Aurillac (15) -15,5°C   Orange (84) -9,8°C      
Arras (62) -21,8°C   Angers (49) -15,5°C   Lescar (64) -9,5°C      
 

Une perturbation neigeuse suivie par une poussée anticyclonique durable

Dès les premiers jours de décembre 1879, un flux continental déjà très froid est en place sur la France. La nuit du 2 au 3 décembre est particulièrement glaciale sur le nord du pays ; associées à un faible vent de secteur est, les températures minimales s'abaissent sous les -20°C entre Ardennes et Lorraine, atteignent -19°C à Lille, et oscillent entre -12 et -14°C en région parisienne.

Dans le même temps, une dépression creusée à proximité des Açores fait route vers la France tout en se creusant. Celle-ci advecte avec elle une masse d'air d'origine tropicale, générant une zone barocline très active lors de son arrivée sur notre pays, dans la nuit du 3 au 4 décembre. L'animation ci-dessous à gauche montre le minimum dépressionnaire entrer sur le sud de la Bretagne le soir du 4 décembre, avant de migrer rapidement vers l'Alsace dans la nuit, pour s'évacuer en Allemagne le lendemain.
 
NB : les animations et champs présentés sur cette page sont produits à partir des données du programme de réanalyses "20th Century Reanalysis" mené par la NOAA, l'ESRL et le PSD. L'approche ensembliste développée par ce programme permet de reconstruire par modèle les conditions météorologiques à tous les niveaux de l'atmosphère à partir d'un nombre restreint de données d'observations. Les résultats sont certes à considérer avec une certaine prudence compte tenu des périodes reculées auxquelles ils s'appliquent, mais ils présentent un degré de fiabilité élevé qui permet une reconstruction pertinente de la plupart des épisodes météorologiques majeurs des 150 dernières années.
 
L'analyse de la température potentielle équivalente à 850 hPa (thêtaE) permet de mettre en évidence un très fort contraste entre la masse d'air polaire continentale qui s'enroule au nord du système dépressionnaire, et la masse d'air tropicale qui remonte dans le secteur chaud au sud du système. Il s'ensuit de fortes pluies et une hausse spectaculaire des températures sur le sud de la France (plus de 20°C sur les Pyrénées-Orientales) tandis que la partie nord de la zone de conflit est affectée par des chutes de neige particulièrement intenses. En fin d'épisode, un retour d'est bien alimenté en air froid se propage sur toute la moitié sud du pays, où la neige se met également à tomber. Le fort gradient de pression dans les basses couches génère par ailleurs des vents forts sur de nombreuses régions (voir ci-dessous à droite), favorisant les phénomènes de congères.
 
    
 
Dès le 5 décembre, une très rapide et forte poussée anticyclonique s'organise sur la France. Celle-ci génère alors pendant plusieurs jours le maintien d'un flux sec, à dominante continentale, avec un ciel souvent peu nuageux, propice à un rayonnement nocturne sévère sur des sols fortement enneigés. La nuit du 9 au 10 décembre marque l'apogée de la vague de froid : un axe anticyclonique, par nature diffluent et très peu venté, se constitue sur le nord du pays, en phase avec une probable dorsale anticyclonique d'altitude. Sous un ciel dégagé, les températures s'effondrent à des niveaux records, notamment entre le Bassin Parisien et la Lorraine :
 
    
 
Il est intéressant de noter que ce refroidissement extrême est fortement concentré près du sol. Dans les parties supérieures des basses couches, les températures sont certes froides (-7 à -9°C à 850 hPa en région parisienne durant la nuit du 9 au 10 : voir ci-dessous), mais elles restent éloignées de plusieurs degrés des records mensuels. Ce sont ainsi moins les advections froides venues de l'est, que l'effet conjugué d'un fort enneigement, de vents faibles et de conditions anticycloniques peu nuageuses qui a généré cette situation propice à un rayonnement nocturne exceptionnellement intense, et permis un entretien remarquable du froid au niveau du sol :
 
     
 
Toute la période qui suit, jusqu'en fin de mois, est marquée par le maintien de ces conditions très fortement anticycloniques sur la France (parfois plus de 1040 hPa). La situation est figée, dominée par un flux continental sur la plupart des régions, repoussant toute intrusion d'air océanique et maintenant dès lors une pellicule d'air glacial près du sol, sous une inversion qui tend à s'accentuer au fil des semaines. En effet, les réanalyses suggèrent un échauffement progressif des altitudes supérieures à 500 mètres d'altitude, ce qui est corroboré par les mesures effectuées à l'époque sur les stations situées sur les reliefs (dans le Massif Central et les Pyrénées notamment). Ceci se traduit par des températures à 850 hPa qui finissent par devenir positives, alors que le gel nocturne reste parfois sévère au sol :
 
    
 
     
 Ce n'est finalement que dans les derniers jours du mois que l'influence océanique parvient à se manifester de nouveau. La masse d'air se radoucit alors rapidement sur toute son épaisseur, y compris près du sol, signant la fin de la vague de froid. On remarque ces intrusions d'air plus doux par l'Atlantique sur les deux champs ci-dessous, où elles apparaissent dans les teintes vertes :
 
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Des orages en début et en fin de mois

Sans surprise, décembre 1879 compte parmi les mois de décembre les plus stables observés en France depuis le milieu du 19ème siècle. C'est du moins ce que l'on peut conclure de la reconstitution des profils verticaux issus des programmes de réanalyse. Comme l'illustre la carte ci-dessous à gauche, le déficit de MUCAPE est généralisé durant ce mois, et très homogène. Il oscille sur la plupart des départements entre -60 et -70%, avec une moyenne France de -63% (rapport à la normale 1981-2010). Les régions les moins déficitaires sont celles qui longent la Manche, tandis que le déficit est maximal aux abords des Pyrénées et des Alpes.

Ces conditions en moyenne très stables dissimulent toutefois deux pics d'instabilité, qui ont été observés dans les premiers jours, puis dans les derniers jours du mois. Les 1er, 4, 5 et 30 décembre 1879 présentent même une instabilité légèrement excédentaire sur la normale quotidienne :

    
 
De fait, 6 jours d'orage ont été recensés durant le mois de décembre 1879, ce qui n'est pas négligeable pour un mois extrêmement déficitaire en instabilité :
 
* le 1er décembre : quelques orages sont signalés sur les Alpes-Maritimes. Ils se développent à l'avant d'un thalweg d'altitude bien froid, en périphérie nord d'un minimum en cours d'évacuation vers l'Italie :
 
     
 
* le 3 décembre : la limite frontale associée à la dépression en provenance des Açores est rendue instable par des advections de hautes valeurs de thêta'w en basses couches. Quelques orages éclatent en fin de journée dans le corps perturbé sur les régions centrales, ainsi que le sur le nord des Alpes.
 
* le 4 décembre : les orages se poursuivent sur le nord des Alpes, en vallée du Rhône, en Franche-Comté, dans les Vosges et en Alsace, au passage du système dépressionnaire instable.

     
 
* le 5 décembre : des orages de neige résiduels sont signalés sur le nord des Alpes et le Jura.

* le 29 décembre : le retour d'un flux perturbé océanique sur le nord-ouest du pays génère quelques orages de traîne active sur le littoral de la Normandie.

* le 30 décembre : quelques orages sont signalés sur le Nord-Pas de Calais, notamment en bordure littorale. Une trombe marine évolue en tornade d'intensité EF3 à Saint-Georges-de-la-Rivière (Manche).