Observatoire français des tornades et orages violents

Analyse complémentaire sur les orages du 21 mai à Levroux (Indre)

Une vidéo très intéressante a été réalisée à quelques kilomètres au sud-est de Levroux lors du passage de la ligne d'orages, qui a par ailleurs provoqué des dommages localement importants aux abords de cette commune de l'Indre.
Elle apporte un éclairage complémentaire et instructif sur la structure orageuse qui a concerné ce secteur en fin d’après-midi du 21 mai.


Analyse de la vidéo

La séquence vidéo visible ci-dessous nous a été communiquée par F. Devillières. Le point d'observation est situé à proximité du lieu-dit La Cigogne, et la caméra est alors pointée en direction de La Teurace, soit en direction du SO à SSO. La ville de Levroux est située sur la droite et hors champ, vers le NO.

La vidéo montre la progression rapide d’un système orageux associé à des bases nuageuses très fortement abaissées. Le courant descendant, massif, progresse alors en direction de l’observateur et gagne progressivement la zone sous la forme d’un vaste front de rafales.

Fait intéressant, une rotation relativement lente des bases nuageuses qui précèdent ce front est identifiable au début de la séquence, notamment lorsque la vidéo est visionnée en accéléré. Cette rotation s’accélère ensuite d’une manière plus sensible tandis qu’une excroissance nuageuse de forme conique se constitue progressivement. Elle présente une torsion cyclonique significative mais brève (quelques dizaines de secondes) avant de s’évaser puis de se déstructurer sous l’effet des puissants courants descendants qui gagnent rapidement le point d’observation.
 
 
 
 
 

S’agit-il d’une tornade ?

Le mécanisme qui est à l’œuvre dans cette vidéo est bien celui qui donne naissance à une part significative des tornades de QLCS (pour Quasi-Linear Convective System). On désigne ainsi les systèmes orageux qui s’étirent le long d’une ligne, soit sous une forme très rectiligne (ligne de grains), soit une forme bombée (bow echo). Dans les deux cas, lorsque les conditions sont suffisamment cisaillées, des mésovortex de basses couches tendent à se former sur le bord d’attaque de la ligne, ou en son cœur, le plus souvent dans les zones de discontinuité les plus fortes (ruptures de la ligne), ou à l’extrémité sud de ligne.

Les mésovortex consistent en une rotation d’extension limitée, d’une durée de vie généralement brève (quelques minutes pour la majorité d’entre eux) et qui ne se développent que peu sur la verticale (typiquement 1 à 2 km). Seule une faible proportion d’entre eux est en mesure de générer une tornade.

C’est cette rotation de basses couches qui est ici visible sur cette vidéo. Elle s’avère suffisamment marquée pour générer une condensation avec structure de type tuba. Dans la mesure où une suspicion de dommages est présente à proximité de l’axe de translation de ce tourbillon, une enquête complémentaire est organisée sur cette zone (située bien à l'écart de Levroux) afin de déterminer, autant que possible, si un contact au sol a pu avoir lieu.
 
 

Mesovortex et microrafales

Le fait d’observer ce qui constitue a minima une amorce de tornade à cet endroit peut laisser interrogatif quant à la nature des dommages constatés par ailleurs 4 km plus au nord, au cœur de la commune de Levroux (voir cette page pour plus d’informations).

Pour autant, l’analyse des relevés de dommages effectués lors des 3 enquêtes de terrain successives sur la zone sinistrée ne met en évidence aucun des stigmates propres aux tornades. Bien au contraire, les éléments recueillis sont typiquement ceux que l’on rencontre lors des microrafales :
* le flux reconstitué au niveau du sol est fortement linéaire, sans axe de convergence continu identifié ;
* la plupart des dommages témoignent d’un effet de souffle à forte composante descendante ;
* la zone frappée tend à s’évaser tout en présentant des dommages progressivement moins marqués, et comporte dans le cas présent plusieurs zones distinctes et discontinues de dommages linéaires qui présentent elles aussi des gradients de dégâts dégressifs.

A titre d’exemple, la photo ci-dessous montre bien l’effet d’enfoncement vers le sol caractéristique des microrafales. Ce type de dommages est tout à fait différent du mouvement de torsion imprimé par la tornade de La Charité-sur-Loire sur un silo le 17 août 1986. Ce dernier avait été comme vrillé et une partie de sa structure pulvérisée en tous sens.

 
Microrafale de Levroux (Indre) du 21 mai 2014. Silos abattus sur la ZI de Bel-Air [burst swath n°2] (c) KERAUNOS
 
 
Dès lors, comment expliquer cette juxtaposition d’une microrafale et d’un mésovortex en phase (pré-) tornadique environ 4 km plus au sud ?

Les observations et les simulations numériques réalisées aux Etats-Unis afin d’étudier les mésovortex au sein des systèmes convectifs linéaires se révèlent instructives dans le cas présent. En effet, parmi elles, une étude menée par Trapp et Weisman, publiée dans Monthly Weather Review en 2003*, montre que les mésovortex de basses couches tendent à se former de part et d’autre du bord d’attaque des courants descendants les plus intenses.

Schéma détaillant le mécanisme de génération des mésovortex de basses couches au sein des systèmes orageux linéaires. (c) Trapp & Weisman, 2003.
 
 
 
Le schéma ci-dessus, extrait de cette étude, illustre le mécanisme à l’œuvre.
Le front froid de couleur verte symbolise le front de rafales qui est associé au QLCS. La zone hachurée en bleu localise pour sa part un puissant courant descendant accompagné de pluie s’écrasant au niveau du sol sous la forme d’une microrafale (cas illustré ici), mais pouvant être également une macrorafale.
 
Sous l’influence de la microrafale, les lignes de vorticité se redressent à la verticale de part et d’autres de l’axe d’étalement des rafales descendantes. Un couple de mésovortex se constitue alors près du sol, à une distance typique de 3 à 5 km du bord d’attaque de la microrafale ; ils sont ici symbolisés en rouge (mésovortex cyclonique) et en violet (mésovortex anticyclonique). Ce sont eux qui sont susceptibles de produire une tornade, qui vient alors circuler à quelques kilomètres de la microrafale, sur un axe distinct.
 
Les mesovortex ne sont pas rares au sein des QLCS actifs, dès lors que les cisaillements de basses couches sont sévères. Néanmoins, seule une minorité d’entre eux parviennent à former des rotations suffisamment virulentes pour donner naissance à une tornade. Le cas de figure d’un mésovortex tornadique reste donc peu fréquent.

Des études américaines ont par ailleurs montré l’importance des RIJ (Rear Inflow Jet) dans la génération des mésovortex de basses couches. La présence d’un RIJ tend en effet à accentuer encore davantage le mécanisme présenté plus haut, en renforçant la virulence des microrafales et en accentuant conséquemment la propension à générer des mésovortex.

En somme, dans le cas de Levroux, il est vraisemblable qu’un mécanisme de ce type ait été à l’œuvre, avec génération d’une forte microrafale dans la pointe du RIJ qui circulait sur la zone à ce moment-là, enclenchant simultanément la constitution d’un mésovortex cyclonique environ 4 km plus au sud. C’est ce dernier qui, fait rare, a pu être filmé pendant le court laps de temps où il a connu son développement maximal.
 
Si, vous aussi, vous avez observé ce phénomène, n'hésitez pas à nous contacter.
 


* R. TRAPP, L. WEISMAN. Low-Level Mesovortices within Squall Lines and Bow Echoes. Monthly Weather Review, 131.