Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF2 à Port-des-Barques (Charente-Maritime) le 23 septembre 2020

Le 23 septembre 2020, entre 16h25 et 16h55 locales, une tornade d'intensité modérée (bas de l'échelon EF2), issue d'une trombe marine, touche terre d'abord sur l'île d'Oléron, puis à Port-des-Barques, enfin sur la rive droite du fleuve Charente en direction de Saint-Laurent-de-la-Prée. Le phénomène, abondamment illustré et vu de très nombreux témoins, provoque des dégâts importants et blesse plusieurs personnes.  

La tornade de Port-des-Barques du 23 septembre 2020 s'inscrit dans un outbreak de tornades (épisode de tornades groupées) qui totalise 5 cas pour les journées des 23, 24 et 25 septembre 2020 (interruption de moins de 24 heures entre chaque cas), dont la tornade EF0 de Marennes-Hiers-Brouage (Charente-Maritime), la tornade EF0 de la Croix-Valmer (Var), la tornade EF0 de Fayence (Var) et la tornade EF1 du Havre (Seine-Maritime). 

Principales caractéristiques de la tornade

* intensité maximale : EF2, soit des vents estimés entre 175 km/h et 220 km/h
* distance parcourue : 28,5 kilomètres (dont 22,7 kilomètres sur la terre ferme)
* largeur moyenne : 150 mètres (aspirations périphériques significatives)

* communes traversées : LE GRAND-VILLAGE-PLAGE (Grande Plage, forêt domaniale de Saint-Trojan, village) ; LE CHÂTEAU-D'OLÉRON (Oron, Grésillon, Fief Naton, les Moulins, vieille ville) ; [zones intertidales, pertuis, zones intertidales] ; PORT-DES-BARQUES (la Garenne) ; [Estuaire de la Charente] ; FOURAS (fort la Pointe) ; SAINT-LAURENT-DE-LA-PRÉE (D214, route des Deux-Roches, l'Houmée) ; BREUIL-MAGNÉ
* département : CHARENTE-MARITIME (17)
* altitude moyenne du terrain : 4 mètres
* type de terrain : tissu urbain discontinu ; équipements sportifs et de loisirs ; terres arables hors périmètres d'irrigation ; prairies ; systèmes culturaux et parcellaires complexes ; surfaces essentiellement agricoles, interrompues par des espaces naturels importants ; forêts de conifères ; landes et broussailles ; marais maritimes ; zones intertidales

* principaux dégâts : arbres (feuillus et conifères) de toutes tailles déracinés, sectionnés et branches parfois de bonne taille transportées à distance ; nombreuses habitations atteintes (couvertures atteintes sur plus de 30% de la surface, cheminées écroulées) ; une habitation en plain-pied en partie éventrée ; plusieurs bâtiments commerciaux et communaux endommagés (toiture perforée, tôles arrachées et transportées) ; mobilier urbain atteint (panneaux de signalisation, lampadaires) ; plusieurs voitures déplacées ; plusieurs camping-cars soulevés et renversés ; une calèche attelée renversée

NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée (English version). Cette version de l'échelle EF, élaborée et mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen et permet ainsi une notation précise des tornades, valable autant pour les tornades contemporaines que pour les tornades du passé, et homogène internationalement.
 

Trajectoire de la tornade

© Keraunos (fond de carte : Géoportail)
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Une trombe marine qui touche terre à trois reprises

La tornade de Port-des-Barques du 23 septembre 2020 est issue d'une trombe marine qui s'est formée au large de la Grande Plage, avant de traverser successivement l'île d'Oléron, Port-des-Barques, puis la rive droite de la Charente dans la direction du Nord-Est. Le phénomène, abondamment filmé, visible depuis le continent, a parcouru une distance totale de 28,5 kilomètres (dont 22,7 kilomètres sur la terre ferme en intégrant les zones intertidales) en traversant 6 territoires communaux. Le bilan matériel est lourd : des dizaines d'habitations touchées, plusieurs bâtiments communaux et commerciaux atteints (dont une crèche, un EHPAD, un supermarché), sans compter les dommages sur la végétation et dans les marais maritimes. Bien que plusieurs véhicules aient été déplacés voire soulevés et mis sur le flanc, et malgré une heure où la population était à l'extérieur, le bilan humain est plutôt miraculeux : on compte à peine quelques blessés légers (le nombre exact n'est pas connu). 

Il est environ 16h25 locales lorsqu'une trombe marine, qui surprend des pêcheurs situés au large de l'île l'Oléron, touche terre au Grand-Village-Plage au niveau de la Grande-Plage. Hormis des dommages signalés sur la végétation et sur quelques habitations, l'agglomération est globalement épargnée et le tourbillon gagne rapidement le territoire du Château-d'Oléron. L'intensité du phénomène est significative et motive à cet endroit le classement EF1 (haut de l'échelon) sur l'échelle de Fujita améliorée. Partout, les rues sont jonchées de débris de tuiles, de tôles et de branches. Plusieurs dizaines d'habitations sont endommagées, dont certaines sont rendues inhabitables. On cite notamment une maison en plain-pied dont le mur vitré, happé par le vent, provoque un trou béant dans l'habitation ; le toit s'est par ailleurs légèrement affaissé (les cloisons intérieures sont également touchées). Ailleurs en ville, les dégâts concernent aussi plusieurs bâtiments commerciaux (un supermarché notamment), mais aussi un EHPAD et une crèche dont la toiture est en partie emportée. C'est précisément sur le parking du Super U qu'un camping-car est happé par la tornade et mis sur le flanc. Il est à noter que la base du tourbillon est d'une faible largeur (50 mètres), mais les aspirations périphériques importantes entraînent des dommages sur une largeur de 150 mètres en moyenne

Après avoir traversé l'île d'Oléron, la tornade franchit des zones intertidales, puis une zone maritime de quelques kilomètres, puis de nouvelles zones intertidales avant d'atteindre l'extrême ouest de Port-des-Barques. Au même moment, une autre tornade touche la commune de Marennes-Hiers-Brouage après avoir traversé la Seudre. Selon toute vraisemblance, le tourbillon gagne encore en intensité dans cet environnement qui lui semble favorable, puisque les dégâts observés en bordure du camping municipal justifient le classement en intensité EF2 (bas de l'échelon). A cet endroit, plusieurs voitures sont déplacées par le vent, un camping-car happé par le vent et retourné. Plusieurs conifères de grande dimension sont brisés net comme des allumettes et leur couronne emportée. La tornade aspire de nombreux débris (dont des branches de bonne dimension) qu'elle éparpille en mer où en direction du fleuve Charente. Sur cette partie de la commune de Port-des-Barques, les vents sont estimés aux alentours de 180 km/h

La tornade quitte ensuite Port-des-Barques et redevient temporairement une trombe (fluviale) en traversant l'estuaire de la Charente sur 500 mètres. Elle redevient tornade à Fouras où elle traverse des zones marécageuses proches du fort la Pointe. Toujours selon un sens de déplacement du Sud-Ouest vers le Nord-Est, elle atteint le territoire de Saint-Laurent-de-la-Prée où elle perd en intensité (une photographie prise par Richard Gilbert dans le village montre un cône de plus faible dimension) jusqu'à Breuil-Magné. Les derniers signalements venteux à Ciré-d'Aunis ne permettent pas de conclure à un phénomène tourbillonnaire proprement dit à cet endroit.

Illustrations des différentes phases de la tornade de Port-des-Barques (de gauche à droite : 1) à proximité du phare du Château-d'Oléron, 2) à l'extrémité de Port-des-Barques, 3) dans l'estuaire de la Charente, 4) à Saint-Laurent-de-la-Prée) :
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Photographies des principaux dommages :
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Analyse de la cellule orageuse

La tornade de Port-des-Barques s’est formée au sein d’une supercellule de type LT (Low Topped) ; on désigne ainsi les supercellules dont l'organisation générale est classique, mais qui présente des dimensions horizontales et surtout verticales limitées (en savoir plus sur les supercellules).
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L’amorçage de cette cellule convective est identifié vers 15h00 locales, soit plus d'une heure avant la formation de la tornade, au large de la Gironde. Peu active dans un premier temps, elle présente à partir de 15h30 des réflectivités plus marquées, qui traduisent un renforcement de son activité, accompagné d’une structuration de plus en plus aboutie. C’est à partir de 16h00 que sa structure radar témoigne d’une organisation supercellulaire établie ; elle se situe alors à 15 km à l'ouest du Phare de la Coubre (Charente-Maritime) et fait route vers le nord-est, en direction de l’Ile d’Oléron, qu’elle atteint une vingtaine de minutes plus tard. Entretemps, elle entre en phase tornadique et produit une trombe marine, qui devient ensuite tornade lors de son impact sur l’île d’Oléron.
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Plusieurs autres cellules du même type (amorces de supercellules voire supercellules LT à maturité) sont identifiables au même moment dans cette zone qui s’étend du sud de Jonzac jusqu’aux environs de Rochefort, en Charente-Maritime. L’une d’elles, située à seulement 10 km au sud/sud-est de la supercellule de Port-des-Barques, est parvenue à entrer également en phase tornadique au même moment, générant la tornade de Marennes.
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L’animation radar ci-dessous présente la situation entre 15h30 et 17h00 locales, par pas de 15 minutes. On y distingue notamment la cellule active qui balaie le sud de l’île d’Oléron avant de gagner le continent :
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Analyse de la situation météorologique

La supercellule tornadique qui a frappé Port-des-Barques s’est formée dans un contexte très dynamique, à l’avant immédiat d’un profond thalweg d’altitude, étiré à ce moment-là de l’Écosse jusqu’au sud du Portugal. La Charente-Maritime s’est ainsi trouvée exposée à un environnement fortement cisaillé en profondeur, dans une configuration rendue par ailleurs bien diffluente en entrée droite d'un jet-streak positionné à proximité des Pays de la Loire. En basses couches, des advections d’air doux et très humide (thêta’w > 10°C à 850 hPa) s'organisent à l’avant d’un double front froid en cours d'enfoncement depuis la Bretagne. Elles viennent instabiliser les profils verticaux préfrontaux à proximité du littoral charentais. La trace de ces deux fronts est bien identifiable sur le champ ci-dessous à droite, issu du modèle WRF 10 km Europe (run du 23 septembre 2020 à 00Z).
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C’est dans cette configuration à la fois dynamique et instable qu’un minimum secondaire s’est creusé en surface sur la première ligne frontale, dans l’après-midi, au large de la Vendée. C’est notamment ce que restitue le modèle WRF-ARW 3 km, déployé ici dans une version « reforecast » initialisée sur ERA5 30 km (run lancé sur les conditions du 23.09.2020 00Z). Ce creusement de petite échelle a imposé une accélération et une composante plus méridienne au flux de basses couches entre Charente-Maritime et Vendée, comme on le note sur l’animation du champ de vent moyen à 10 mètres du sol (entre 15h00 et 17h00 locales, par pas de 15 minutes) :
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Ceci a généré une accentuation sensible des cisaillements de basse couche à proximité du littoral de Charente-Maritime en milieu d’après-midi. De fortes valeurs de cisaillements sur l’épaisseur 0-500 mètres ressortent ainsi dans la modélisation à proximité de l’île d’Oléron, à l’heure de survenue de la tornade (ci-dessous à gauche). Ces cisaillements ont été associés, au même endroit et à la même heure, à une instabilité latente marquée, comme en témoignent entre autres les plages de MLCAPE 0-3 km > 150 J/kg entre l’ouest de la Charente-Maritime et le sud de la Vendée, et notamment sur le sud de l’île d’Oléron où une conjonction instabilité - cisaillements très favorable est observée.
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C'est ainsi une configuration préfrontale très cisaillée et instable, dynamisée par un creusement dépressionnaire un peu plus au nord-ouest, qui a présidé à la formation des tornades de Port-des-Barques et de Marennes-Hiers-Brouage. On retrouve ici tous les ingrédients propices à un épisode tornadique sur ce secteur, que ce soit à échelle synoptique ou à méso-échelle.
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