Observatoire français des tornades et orages violents

L'épisode orageux diluvien (R5) de novembre 1999 dans l'Aude, les Pyrénées-Orientales, l'Hérault et le Tarn

Les 12 et 13 novembre 1999, un épisode orageux diluvien s'abat dansl'ouest du Languedoc. Les inondations consécutives à ces orages sont historiques, notamment dans l'Aude où les cumuls de pluie relevés en 48h sont absolument exceptionnels. Dans ce contexte, 25 personnes trouvent la mort, une personne est portée disparue et environ 200 000 habitants sont touchés par ces très fortes pluies.
 
Inondations catastrophiques dans les basses plaines de l'Aude - La Dépêche du MidiInondations catastrophiques dans les basses plaines de l'Aude - La Dépêche du Midi

Principales caractéristiques de l'épisode orageux

* phénomènes observés : précipitations diluviennes
 
* structures convectives : système convectif de méso-échelle de type V

* régions concernées : PYRENEES-ORIENTALES, AUDE, HERAULT, TARN, AVEYRON

* principaux dégâts : inondations exceptionnelles aussi bien par leur ampleur que par la superficie concernée. Crues historiques sur de nombreux bassins de l'Aude, du Tarn et du nord des Pyrénées-Orientales.
 

Chronologie et faits marquants de l'épisode orageux

Inondations catastrophiques dans les basses plaines de l'Aude - La Dépêche du MidiLes journées des 12 et 13 novembre 1999 sont marquées par un épisode méditerranéen exceptionnel et de grande étendue entre Pyrénées-Orientales, Aude (Corbières et Minervois mais aussi basse plaine de l'Aude), Tarn (sud du département, Montagne Noire) et Hérault (Espinouse et Minervois).

Avant le début de l'épisode dans la nuit du 11 au 12 novembre 1999, la masse d'air est froide en basse couche puisqu'il ne fait que 2,5°C à Carcassonne et 7°C à Perpignan à 00h TU le 12 novembre. Cette masse d'air commence à se réchauffer très lentement durant la seconde partie de nuit : à 6h TU le 12 novembre, il fait 4.8°C à Carcassonne et 6,1°C à Lézignan-Corbières. L'isotherme 0°C reste établi vers 1.200 m d'altitude.
 
Le 12 novembre, le vent marin se lève dans le Golfe du Lion. Il commence à se renforcer à partir de la mi-journée, avec des rafales de 83 km/h à Lézignan-Corbières, 97 km/h à Narbonne et 101 km/h à Durban-Corbières (relevés Météo-France). En matinée du 12 novembre, des pluies continues produisent des lames d'eau horaires très modérées des Pyrénées-Orientales à l'Aude, qui n'excèdent guère 20 à 30 mm à Lézignan-Corbières.
 
Alors que des pluies assez fortes persistent sur le Minervois et l'ouest de l'Hérault l'après-midi, c'est en fin de soirée du 12 novembre que la convection devient très profonde et s'organise. A ce moment là, le réchauffement des basses couches est brutal ; l'air doux advecté par le flux de sud-est envahit tout le Languedoc et le sud-est de Midi-Pyrénées, ne franchissant toutefois pas le seuil de Naurouze.

Un système convectif à propagation rétrograde (en V) se constitue alors entre Fenouillèdes, Corbières et Minervois. Après 21h TU, les lames horaires deviennent diluviennes sous ce système et dépassent 100 mm à Lézignan-Corbières. La station relève alors 112 mm en 1h, 229 mm en 3h, 427 mm en 12h et 551 mm en 24h pour la seule journée du 12 novembre. Au total, une lame d'eau de 620 mm est enregistrée en 48h, ce qui correspond aux plus hautes valeurs observées sur ce secteur depuis des décennies.
 
Lors de la phase convective la plus active, on observe à Lézignan une baisse brutale de la température d'environ 2,3°C. La température maximale (Tx) quotidienne était en cours à 21h TU (à 14,4°C) puis le mercure a chuté à 11,9°C sous les très fortes intensités pluvieuses à 23h TU. La Tx du 12 novembre 1999 se produit alors le 13 novembre à 02h TU et s'établit à 14,7°C :
 
Graphe de température et de précipitations horaires à Lézignan-Corbières le 12 novembre 1999
Graphe de température et de précipitations horaires à Lézignan-Corbières le 12 novembre 1999 - Relevés Météo-France
 
Outre les Corbières, bien d'autres secteurs ont été durement touchés par ces orages diluviens. La superficie concernée par cet épisode est considérable puisqu'elle s'étend de l'Espinouse jusqu'à l'ensemble du Minervois, les amonts du Tarn, du Thoré, de l'Agout, l'ensemble des bassins des deux tiers est de l'Aude et ceux des Fenouillèdes.

Les lames d'eau exceptionnelles sont relevées jusqu'au sud du Tarn avec 420 mm à Rouairoux, 410 mm à Murat-sur-Vèbre, s'étendent jusqu'à l'ouest audois (240 mm à Carcassonne), au Minervois (470 mm à Laure-Minervois) et aux Pyrénées-Orientales (347 mm à Céret).
 
Vents à 23h TU le 12 novembre 1999Cet épisode convectif remarquable s'explique en partie par la persistance d'une convergence humide extrême en direction des reliefs du Languedoc. Le jet de basse couche qui s'est établi dans le Golfe du Lion s'est montré extrêmement intense. Durant plus de 12h, de violentes rafales ont balayé le littoral de l'Hérault, de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. Ce vent marin s'est montré trop puissant pour que les précipitations diluviennes se cantonnent à la portion littorale de l'ouest du Languedoc ; les orages très pluvieux ont de fait été repoussés vers l'ouest.
 
La carte des vents ci-contre illustre la vitesse et la direction des vents observés sur l'Aude au moment de la phase diluvienne à 23h TU le 12 novembre 1999. Le puissant jet de sud-est (jusqu'à 50 noeuds à  Leucate) freine brutalement au centre des Corbières (des vents de 15 à 20 noeuds sont relevés de Durban à Lézignan). Passées les Corbières, le flux tourne davantage à l'est puis devient variable faible sur l'ouest audois. Cette situation stationnaire de forte convergence sur les Corbières explique les lames diluviennes observées sur cet axe.
 
A la station de Narbonne, les rafales de vent ont dépassé 100 km/h durant plus de 7h d'affilée, entre 17h et 00h TU, avec des pointes atteignant 112 km/h à trois reprises. En entrant dans l'intérieur des Corbières, ce violent courant d'est s'est donc un peu amorti. Bien que des rafales atteignant 110 km/h aient été relevées à Durban-Corbières, ces dernières n'ont pas excédé 100 km/h à Lézignan-Corbières.
 
On notera par ailleurs sur le graphe présentant les rafales horaires maximales qu'un affaiblissement s'opère lors de la phase convective la plus active entre 21h et 00h TU le 12 novembre. Cela peut s'expliquer par le fait que le champ de vent au sol s'est trouvé altéré par les puissants courants descendants alors en place sur le secteur :
 
Rafales horaires maximales relevées à Lézignan-Corbières et à Narbonne le 12 novembre 1999
 

 Des crues exceptionnelles de périodes de retour supérieures à 100 ans*

Les débits hydrologiques estimés en 1999 et leurs périodes de retour - Crues et inondations dans la France méditerranéenne. Les crues torrentielles des 12 et 13 novembre 1999 (Aude, Tarn, Pyrénées-Orientales et Hérault)  - Freddy VINET, Professeur de géographie à l’université Paul-Valéry Montpellier 3 Les crues générées par les pluies diluviennes sont tout aussi exceptionnelles que les lames d'eau relevées (cf. carte ci-contre).
 
Dans l'Aude, de nombreux cours d'eau ont connu des crues centenales. Ainsi, les débits relevés sur la Berre correspondent aux plus hautes connues à ce jour. Les débits estimés varient entre 700 et 800 m3/s sur ce cours d'eau, soit une valeur deux fois plus élevée que le débit centenal estimé.

L'Orbieu, principal affluent de l'Aude, prend sa source au sud-ouest des Corbières. Il rejoint l'Aude au niveau de Saint-Nazaire-d'Aude. C'est avec l'Aude le cours d'eau qui a généré les inondations les plus importantes durant l'épisode. Près de la confluence, les débits ont été estimés à 1.500 m3/s.

Sur la Cesse, qui dévale le Minervois pour venir confluer avec l'Aude dont il est affluent rive gauche, la crue observée est la plus importante de ces 100 dernières années. La conjonction des crues de l'Aude, de la Cesse et de l'Orbieu a eu des conséquences dramatiques immédiatement à l'aval sur le tronçon maritime de l'Aude, d'autant que les très forts vents de sud-est et la surcôte gênaient considérablement l'écoulement du fleuve.

Sur l'Aude, le débit instantané maximal relevé à Moussoulens à l'entrée des basses plaines est de 4.500 m3/s. La crue de 1999 revêt un caractère historique lorsque l'on sait que le débit instantané centenal n'est que de 3.600 m3/s.
 
Dans le Tarn, le bassin du Thoré a été le plus touché, la crue de 1999 n'a que très ponctuellement dépassé la crue historique de 1930, et ce grâce à la bonne gestion du barrage des Saints-Peyres qui a permis d'écrêter un peu la crue à Mazamet.
 
D'autres crues majeures ont été observées dans l'Hérault (Minervois) sur des cours d'eau secondaires ou dans les Pyrénées-Orientales sur l'Agly et le Verdouble.
  
* informations tirées de Crues et inondations dans la France méditerranéenne. Les crues torrentielles des 12 et 13 novembre 1999 (Aude, Tarn, Pyrénées-Orientales et Hérault)  - Freddy VINET, Professeur de géographie à l’université Paul-Valéry Montpellier 3
 
Que ce soit à Lézignan-Corbières, Cuxac-d'Aude ou Cascastel-des-Corbières, les inondations meurtrières ont pris des proportions catastrophiques. Certains ouvrages, vieux de plusieurs siècles (comme le pont de Cascastel), n'ont pas résisté aux crues. Certains villages des Corbières ou de la basse plaine de l'Aude sont restés isolés plusieurs jours.

Photographies des principaux dommages, avec de haut en bas

Lézignan-Corbières, 
Cuxac-d'Aude,
Cascastel-des-Corbières.

 

Un épisode extrêmement sensible aux conditions de méso-échelle

Image satellite IR du 12 novembre à 23h TU - La Météorologie n°42Les animations satellite et radar ci-dessous décrivent les différentes phases de l'épisode.

Après l'arrivée des premières pluies orageuses dans le Golfe du Lion, un système convectif de méso-échelle se développe selon un axe orienté Sud/Nord, entre les Pyrénées-Orientales et le Tarn. L'analyse infra-rouge de ce MCS (cf. image ci-contre) montre une convection extrêmement profonde avec sommets pénétrants sur la pointe sud d'un système en V. 
Animation satellite entre les 12 et 13 novembre 1999:
A
Image satellite infra-rouge des 12 et 13 novembre 1999 (c) EUMETSAT
A
Ce dernier aura persisté plus de 5h et présenté une phase pluvieuse extrême entre 21h et 00h TU les 12/13 novembre (cf. animation radar ci-dessous) : 
A
Image radar des 12 et 13 novembre 1999. (c) Météo France
A
La seconde phase convective conclut l'épisode le 13 novembre avec la remontée du forçage d'altitude principal. Il a favorisé le développement d'un vaste système pluvio-orageux linéaire.A     

Reforecast de l'évolution de la PVU les 12/13 novembre 1999 - WRF 27 km. © KERAUNOSPlusieurs reforecasts ont été réalisés sur cet épisode - 
c’est-à-dire des simulations par modèle numérique des conditions météorologiques de l’époque, dans une configuration proche d’une simulation numérique utilisée en prévision opérationnelle. L'objectif de ces simulations numériques est de permettre une identification des facteurs qui ont conduit au développement de ces orages diluviens.

Au niveau de la tropopause, un vaste minimum centré sur la France pivote vers l'ouest. Sa partie dynamique, initialement positionnée sur l'Andalousie, est remontée des Baléares vers le Golfe du Lion en fin d'épisode, dans la journée du 13 novembre. Ce forçage principal pilotait le vaste système convectif linéaire qui s'est étiré du sud-ouest au Golfe du Lion en fin de nuit du 12 au 13 novembre.

En attendant l'arrivée de ce puissant forçage, l'ouest du Languedoc est resté positionné durant de nombreuses heures en entrée droite d'une branche de jet qui évoluait sur Midi-Pyrénées. Le flux demeurait donc continuellement divergent en altitude, comme en témoignent les deux champs animés ci-dessous (fig. 2 et 3) :
       
Fig.2 : Vent à 250 hPa - Fig 3 : divergence à 300 hPa - WRF 27 km initialisé le 12/11/1999 à 00z
 
Pour ce qui concerne l'état de la masse d'air, le radiosondage tiré à Palma aux Baléares le 12 novembre 1999 à 19h locales présente un profil bien instable. Dans le détail :
 
Radiosondage de Palma (Baléares) à 19h00 locales le 12 novembre 1999 (c) KERAUNOS

Tropopause : 10.612 m
Iso 0 : 2.405 m
LCL : 598 m
T500 : -21°C
PWAT : 21 mm
MULI : -6 K
TTI : 51
MUCAPE : 1.279 J/kg
MUCIN : -35 J/kg

 
Ces données sont conformes au reforecast proposé par WRF 27 km. Au fil de la soirée, l'advection d'air doux en basse couche s'est encore accentuée en direction de l'ouest du Languedoc. Les cisaillements profonds sont restés très modérés, proches de 12 m/s. La simulation présentée ci-dessous suggère une nette hausse de l'instabilité à l'approche de l'air le plus froid en altitude qui pivote sur le sud de l'Espagne en direction du Golfe du Lion. Les valeurs de MUCAPE et de MULI simulées par WRF sont conformes aux données du sondage (cf. fig.4 et 5) et ont donc dépassé 1.000 J/kg sur les Corbières :
       Fig.4 : température à 500 hPa - Fig.5 : instabilité  - WRF 27 km initialisé le 12/11/1999 à 00z
 

 
Analyse synoptique avec données observées le 13 novembre 1999 à 00h TU. © KERAUNOSLe reforeact en résolution 5 km permet d'établir que cet épisode orageux présentait une extrême sensibilité aux conditions de méso-échelle.
En effet, dans toutes ses initialisations, WRF creuse le minimum de surface de manière exagérée sur le sud-ouest de la France. Si la violence du jet de basse couche dans le Golfe du Lion est bien reconstituée (cf figure 6), la convergence extrême sur les Corbières est trop rapidement détruite avec l'air chaud de basse couche et les vents de sud-est qui envahissent tout le sud-ouest de la France (cf. figures 7 et 9). En réalité, on a observé un gradient de température très marqué entre la plaine toulousaine et l'ouest du Languedoc (les points de rosée variaient de 5°C à Toulouse à 14°C sur le littoral de l'Aude), élément mal appréhendé par le modèle dans cette configuration.
 
A partir de la fin de journée du 12 novembre 1999, durant plusieurs heures, la convergence humide sur les Corbières a donc pris des proportions extrêmes (cf. carte synoptique ci-contre et champ de MOCON, fig.8 ci dessous). La compression du remarquable jet de basse couche contre les Corbières et le potentiel précipitable important (eau précipitable estimée à 30/35 mm) ont contribué à rendre le système orageux extrêmement pluvieux. La persistance de cette configuration de méso-échelle durant plusieurs heures a favorisé le maintien et l'entretien du système en V.
 
 
 Fig.6 : vent à 10m - Fig.7 : convergence humide - Fig.8 : thêta'w à 850 hPa  - WRF 5 km initialisé le 11/11/1999 à 18z

 
On peut considérer que les conditions de méso-échelle qui ont contribué au déroulement de cet épisode exceptionnel sont atypiques. Il est en effet assez peu commun d'observer une convergence humide durable qui se cale immédiatement à l'ouest des Corbières. Finalement, le reforecast de WRF à méso-échelle correspond à une situation plus commune, qui reflète un scénario alternatif qui n'aurait pas nécessairement mené à une situation catastrophique telle qu'elle a été observée.