Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF1 à Landrecies (Nord) le 10 août 2014

Le 10 août 2014, aux environs de 17 heures locales, une tornade de faible intensité (haut de l'échelon EF1) frappe le Cambrésis et l'Avesnois, et provoque les dommages les plus significatifs dans la commune de Landrecies (Nord). Fait intéressant, la tornade prend naissance en forêt domaniale de Bois-l'Evêque, qui avait déjà été partiellement traversée par la tornade EF4 de Pommereuil du 24 juin 1967.
 
La tornade de Landrecies s'inscrit dans un outbreak de tornades (épisode de tornades groupées) qui totalise au moins 4 cas en France (et plusieurs autres dans le Bénélux) pour la journée du 10 août 2014, dont la tornade EF1 d'Achicourt (Pas-de-Calais), la tornade EF0 de Neuvilly (Nord) et la tornade EF1 de Gueux (Marne).

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade EF1 de Landrecies (59) du 10 août 2014* intensité maximale : EF1 soit des vents estimés de 135 à 175 km/h
* distance parcourue : 13 kilomètres
* largeur moyenne : 100 mètres (aspirations périphériques jusqu'à 250 mètres)

* communes traversées : ORS (ruisseau de l'Ermitage, forêt domaniale de Bois l'Evêque), LANDRECIES (le Petit Champ, Happegarbes, le Grimpet, Faubourg Soyères, les Etoquies), LOCQUIGNOL (forêt domaniale de Mormal, la Sambre), MAROILLES (l'Helpe Mineure, les Parts, les Trayeuses), LOCQUIGNOL (Hachette), NOYELLES-SUR-SAMBRE (l'Helpe Majeure)
* département : NORD (59)
* altitude moyenne du terrain : 140 mètres
* type de terrain : tissu urbain discontinu, terres arables hors périmètres d'irrigation, prairies, forêt de feuillus, marais intérieurs

* principaux dégâts : arbres feuillus adultes, parfois de haute futaie, déracinés ou brisés net (saules-pleureurs, tilleuls, frênes, hêtres) ; arbres conifères adultes sectionnés ; arbres fruitiers brisés ; projections de branches à faible distance ; tôles de hangars arrachées ; habitations endommagées (stores et volets roulants aspirés, cheminées détruites, tuiles envolées, portes de garages arrachées, vérandas détruites) ; deux habitations plus sévèrement atteintes : pans entiers de toitures arrachés et projetés à faible distance ; trampoline emporté à 200 mètres
 
NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée. Cette version de l'échelle EF, mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen.
 

Trajectoire de la tornade

 
© Keraunos (fond de carte: Géoportail)
 
© Keraunos (fond de carte: Géoportail)
 

Une trajectoire qui frôle celle de la tornade de Pommereuil du 24 juin 1967

Sur les six premiers kilomètres de sa trajectoire, la tornade de Landrecies traverse un territoire qui fut déjà en bordure sud-est de la tornade EF4 de Pommereuil du 24 juin 1967. Cette dernière, caractérisée par des aspirations périphériques remarquables, avait déjà balayé la quasi totalité de la forêt de Bois l'Evêque, et frôlé l'ouest du Faubourg Soyères à Landrecies:
 
© Keraunos
 
Les dégâts de la tornade de Landrecies, qui présentent un niveau d'intensité variable tout au long de la trajectoire, relèvent ponctuellement du haut de l'échelon EF1 au niveau de la route de Fontaine et en lisière de la forêt de Mormal (commune de Landrecies). A deux reprises, des pans de toitures sont arrachés sur des habitations, mais la projection des débris reste limitée et constatée à une faible distance.
 
En moyenne, la tornade présente une largeur de 100 mètres, bien que des aspirations périphériques atteignent localement 150 mètres supplémentaires en bordure sud-est du couloir. Comme pour la tornade d'Achicourt, un sens de rotation cyclonique est envisagé pour cette tornade.
 
Après s'être formée à l'entrée de la forêt domaniale de Bois-l'Evêque (commune d'Ors), la tornade traverse l'ouest de l'agglomération de Landrecies, et se dissipe au confluent de la Sambre et de l'Helpe Majeure, commune de Noyelles-sur-Sambre. La trajectoire parcourue représente ainsi 13 kilomètres, selon un sens de déplacement de l'ouest-sud-ouest vers l'est-nord-est. Ce dernier est rigoureusement identique à celui de la tornade d'Achicourt. 

A
1    Ors - Premiers dégâts en bordure de la forêt de Bois-l'Evêque
2    Landrecies - Branches cassées, rue d'Happegarbes
3    Landrecies - Champ de maïs endommagé. Convergence illustrée par le sens de chute des plants de maïs, hameau du Grimpet
4    Landrecies - Porte de garage aspirée et toiture en tôle arrachée et dispersée, rue d'Happegarbes
5    Landrecies - Haie de conifères sectionnée, rue d'en Haut
6    Landrecies - A gauche : volets roulants aspirés, 48 route de Fontaine. A droite : muret renversé, 21 route de Fontaine
7    Landrecies - Deux pans de toiture arrachés, 14-16 route de Fontaine. Ces dégâts sont constatés sous le vent
8    Landrecies - Vue d'ensemble des dégâts, coron de la Céramique
9    Landrecies - Toiture endommagée, rue des Etoquies
10    Landrecies - Bâtiment endommagé, rue des Etoquies : tôles aspirées et projetées à faible distance, portions de toitures arrachées
11    Landrecies - Trampoline emporté à 200 mètres, rue des Etoquies. Poteau électrique incliné par le vent
12    Landrecies - Pan de toiture arraché sur une habitation en lisière de la forêt de Mormal. Les dégâts sont observés sous le vent
13    Maroilles - Grosses branches cassées sur des saules, près de la D 32a
14    Locquignol - Hangar agricole faiblement atteint, rue Triolin  
 

Analyse des conditions météorologiques

La tornade de Landrecies s'est formée dans un contexte particulièrement dynamique pour un mois d'août, au sein d'une limite frontale instable, à caractère de front froid.
 
Un rapide flux d’ouest/sud-ouest était alors en cours de mise en place sur la France et le proche Atlantique. Le courant-jet, très rectiligne et à forte composante zonale, pénètre sur la France en journée et véhicule un thalweg d'altitude très dynamique, piloté par un minimum principal calé sur le nord de l'Atlantique. Ce dernier impose une nette inflexion au courant-jet, ce qui positionne le Nord - Pas de Calais dans une configuration simultanée de sortie gauche et entrée droite de jet, fortement diffluente et génératrice d'un soulèvement dynamique marqué (voir le champ du modèle WRF 13 km Europe ci-dessous à gauche).

Dans ce flux rapide circulent de fortes advections froides à l'étage moyen, le long d'un axe sud Irlande - Manche. Les températures s'abaissent rapidement sous les -20°C vers 5.500 mètres d'altitude, ce qui témoigne d'un flux particulièrement dynamique (voir ci-dessous à droite).


Cette forte dynamique d'altitude est venue interagir avec les restes de l'ex-cyclone tropical Bertha, formé dix jours plus tôt près des Antilles. Ce dernier a en effet été repris dans la circulation perturbée de l'Atlantique nord pour finir sa course sur le sud de l'Angleterre ce dimanche 10 août, tout en subissant un ultime creusement. C'est à son passage que le potentiel orageux est devenu sérieux sur le nord et le nord-est de la France, notamment par suite de fortes advections chaudes et humides en basses couches. Celles-ci ont en effet généré d'une part une instabilité latente assez marquée (MULI jusqu'à -4 K sur la zone frappée par la tornade) et d'autre part des niveaux de condensation particulièrement bas, comme l'illustre la simulation du modèle à ultra-haute résolution  WRF 1 km France :


Le transit de cette dépression active sur le sud de l'Angleterre a par ailleurs généré des vents forts à toutes altitudes. Le modèle WRF 1 km représente bien un double axe de vents forts pré- et post-frontal en très basses couches (ci-dessous à gauche), ainsi que des vents très soutenus qui approchent 100 km/h vers 3.000 mètres d'altitude :


L'hélicité relative associée sur l'épaisseur 0-1 km s'en trouve accentuée à l'avant immédiat du front froid, avec des valeurs simulées proches de 120 m²/s² sur le Nord - Pas de Calais (ci-dessous à gauche). L'ensemble est associé à un renforcement des cisaillements profonds, qui avoisinent alors 25 m/s (ci-dessous à droite) :


Le radiosondage effectué à Trappes à 14h locales est le plus proche, géographiquement et temporellement, de la tornade de Landrecies. Il est représentatif de l'environnement préfrontal et vient corroborer les simulations réalisées par le modèle WRF.
 
L'analyse de celui-ci permet en effet d'établir les valeurs suivantes, qui témoignent de conditions instables et fortement cisaillées :

MUCAPE de 855 J/kg
MLCAPE de 138 J/kg
MULI de -3 K
MLLI de -1 K
LCL très abaissé à 243 mètres
EL situé à 10.545 mètres (altitude proche de la tropopause)
cisaillements 0-6 km de 26 m/s
* SRH 0-1 km de 248 m²/s²
SRH 0-3 km de 262 m²/s²
 
 

Analyse de la cellule orageuse

La tornade de Landrecies s'est formée sous l'extrémité sud d'une cellule orageuse active, qui a commencé à se structurer sur le département de l'Oise, aux environs de 15h15 locales. Cette cellule s'est constituée sur une limite frontale à caractère de front froid, étirée du Poitou à la mer du Nord sous la forme d'un long QLCS morcelé, composé de multiples cellules orageuses. L'image radar ci-contre montre explicitement cette ligne en partie orageuse, précédée par un premier axe orageux préfontal entre Bourgogne et Lorraine.


La
tornade s'est formée peu avant 17h00 locales, dans une zone de rupture du QLCS. Ce type de configuration est génératrice d'un renforcement des cisaillements en basses couches et peut de ce fait favoriser la formation d'une tornade lorsque les conditions y sont propices.
 
Point commun avec la tornade d'Achicourt, l'activité foudre générée par cette cellule s'est concentrée essentiellement au nord de la trajectoire de la tornade :
 
Activité foudre le 10 août 2014 entre 16h45 et 17h15 locales. La trajectoire de la tornade est symbolisée par la flèche rouge. (c) KERAUNOS / données Blitzortung
 
 

Prévision de l'épisode

Cet épisode orageux tornadique a été bien anticipé : un risque orageux marqué avait été identifié pour cette situation, et un avis d'orage fort avait dès lors été émis dès le matin 08h dans le bulletin quotidien de prévision des orages, avec validité pour l'après-midi et le début de soirée :
 

Une mention spécifique visait le 
risque de tornades, en raison d'une probabilité d'occurrence estimée entre 30 et 50% du Nord - Pas de Calais jusqu'au nord de la Lorraine. Ce niveau de probabilité, qui est calculé dans un rayon de 40 km autour d'un point, indique un risque qui devient très significatif. De fait, ce n'est que la seconde fois depuis le début de l'année 2014 qu'un risque de tornade aussi marqué avait été émis en prévision.
 
En complément de la carte de prévision ci-dessous, le bulletin de prévision du 10 août 2014 mentionnait les éléments suivants :
 

Les régions du quart nord-est du pays seront exposées au potentiel orageux le plus significatif ce dimanche. [...] Deux principaux axes de forçage sont attendus cet après-midi sur les régions ciblées : d'une part le front froid lui-même, qui progressera de la Normandie au Centre en milieu de journée, pour gagner Nord - Pas de Calais, Picardie et Champagne dans l'après-midi, puis la Lorraine en soirée ; d'autre part une ligne de convergence préfrontale, qui s'organisera en cours d'après-midi de la Bourgogne à la Lorraine, avant de gagner la Franche-Comté et les Vosges en soirée. [...]

Ainsi, les orages qui évolueront cet après-midi et ce soir sur ces régions pourront être forts, avec pluies intenses, chutes de grêle éparses et surtout des rafales de vent qui pourront atteindre localement 100 à 120 km/h, voire même isolément davantage. Des développements supercellulaires sont possibles, notamment entre Bourgogne et Lorraine, tandis qu'un risque de tornade concernera l'ensemble de la zone, et plus particulièrement les régions qui s'étirent du Nord - Pas de Calais à la Lorraine, où de forts noyaux d'hélicité relative sont attendus, en conjonction avec des inflows proches de 15 m/s.

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