Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF3 à Fagnières (Marne) le 17 mai 1971

Une tornade meurtrière de forte intensité (EF3) dévaste l'ouest de la commune de Fagnières (Marne) le 17 mai 1971 vers 20h30 locales. Le phénomène, qui a été vu, soulève notamment un véhicule et le projette à 100 mètres de distance, tuant deux personnes.
 

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade de Fagnières (51) du 17 mai 1971* intensité maximale : EF3, soit des vents estimés de 220 km/h à 270 km/h
* distance parcourue : 4,5 kilomètres (distance minimale reconnue à ce jour)
* largeur moyenne : 150 mètres

* communes traversées : VILLERS-LE-CHÂTEAU (Vide Besace), FAGNIÈRES (rue Ulysse Ginat)
* département : MARNE (51)
* altitude moyenne du terrain : 95 mètres
* type de terrain : territoires artificialisés, territoires agricoles (vignobles)

* principaux dégâts : poteaux téléphoniques brisés ou tordus; caravane projetée à la hauteur d'un toit; hangars endommagés avec projection de tôles; hangars et dépendances détruits ou soufflés; toitures entièrement arrachées; maisons éventrées; une voiture happée, soulevée, et projetée dans les champs à environ 100 mètres
 
NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée. Cette version de l'échelle EF, mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen.
 

Parcours de la tornade

 
© Keraunos (fond de carte : Géoportail) 
 

Deux morts et une voiture happée par le tourbillon

La tornade de Fagnières, qui n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance de terrain, parcourt une trajectoire d'au moins 4,5 kilomètres entre la ferme de Vide Besace (commune de Villers-le-Château) et le nord-ouest de Fagnières. Sur une largeur moyenne de 150 mètres, le tourbillon provoque des dégâts matériels très importants dans le périmètre de la rue Ulysse-Ginat : maisons éventrées, caravane projetée à la hauteur d'un toit, murs effondrés sur la chaussée, toitures réduites à quelques poutres, poteaux téléphoniques brisés ou tordus, projections d'arbres et de poutres. 

Surtout, la tornade de Fagnières tue deux personnes dans des circonstances tragiques : une voiture est happée par le tourbillon, et projetée hors de la chaussée à environ 100 mètres de son emplacement d'origine. Un vigneron est tué sur le coup ; un des trois passagers de la voiture, un enfant de 2 ans, succombe à ses blessures. Ce fait, qui s'est déroulé sur la RD 933, permet de confirmer l'intensité du tourbillon qui atteint le niveau EF3 sur l'échelle améliorée de Fujita.

La tornade de Fagnières a fait l'objet d'un reportage dans Information Première (13h) du 18 mai 1971. Le témoignage d'un sinistré est tout à fait explicite : « Vers 8 heures j'ai vu une tornade arriver, une espèce de truc noir [...], de la terre qui montait en l'air. Tout d'un coup, ça s'est dirigé un peu sur la droite, j'ai pensé qu'on allait être épargné et que ça passerait derrière le village ; et puis brutalement ça s'est rabattu, j'ai entendu un bruit terrible, quelque chose qui tombait sur ma toiture, ma toiture qui s'effondrait ; je me suis sauvé au sous-sol. Arrivé au sous-sol, j'ai voulu regarder par la porte de sous-sol pour voir ce qui se passait, j'ai vu la caravane de mes enfants qui était plus loin, là-bas, qui partait comme un ballon, qui arrivait sur mon pignon, et qui retombait au pied du pignon, rebondissait. Et puis des arbres, et des poutres, qui passaient en vrillant et puis, je suis rentré, j'ai vu le hangar qui s'arrachait et j'ai eu peur, je suis rentré. Je suis rentré au sous-sol, m'abriter. »
Les extraits photographiques ci-dessous permettent de mesurer l'ampleur du phénomène à l'ouest de Fagnières : 

* * *  
  
A l'échelle locale, la tornade de Fagnières a fait l'objet d'une importante médiatisation, en raison de son caractère meurtrier. Voici un extrait du quotidien L'Union dans son édition du 19 mai 1971:

Dans Fagnières dévastée par la tornade, quarante familles ont été ruinées par le cataclysme

Le département de la Marne et Châlons-sur-Marne ont manifesté leur solidarité à la commune sinistrée

Châlons-sur-Marne.- Quand le jour s’est levé, hier matin, sur Fagnières, on a pu mesurer dans toute son ampleur, le désastre causé la veille au soir dans la malheureuse commune marnaise, par la tornade. Un propos revenait sur toutes les lèvres : « C’est comme après un bombardement ! »

Des maisons éventrées, des toitures réduites à quelques poutres, des murs effondrés sur la chaussée, des poteaux brisés ou tordus. Un spectacle désolant que les habitants contemplaient avec effarement, tout cela leur paraissant encore incroyable.

Le plus inimaginable pour eux, qui avaient vécu les instants où l’ouragan dans un grondement terrible, s’était abattu sur le village, c’est que tous s’en soient tirés indemnes.

Un seul habitant a été blessé superficiellement, un transporteur, M. Poletz, qui se trouvait au volant de son camion, à l’extrémité de la rue Ulysse Ginat, la plus touchée : une plaque de tôle projetée par le vent, l’atteignit au bras et il dut être pansé au centre hospitalier de Châlons.

Le drame de la R.N. 33

Dans ce même centre hospitalier, on venait, on le sait, d’amener d’autres victimes de l’ouragan, frappés de façon plus dramatique : c’est sur la R.N. 33, Châlons – Montmirail, à hauteur de Villers-le-Château, que leur voiture avait été happée et projetée hors de la chaussée avec une force prodigieuse, puisqu’on la retrouva à 200 mètres de la route (et non à 100 mètres, comme on avait dit d’abord). Un vigneron de Villevenard, M. Henir Niquet, 63 ans, devait y trouver la mort.

Hier, l’état du conducteur de la voiture, M. Jackie Niquet, 25 ans, et celui de sa femme, Jocelyne, hospitalisé à Châlons, n’inspiraient pas d’inquiétude. Mais il n’en était pas de même pour leur enfant, Christophe, 2 ans, qui devait lui aussi mourir.

Dans les parages de l’accident, la tornade avait touché la ferme de Vide-Besace, au bord de la R.N. 33. Un des corps d’habitation était très endommagé !

NB : Ce cas a pu être documenté grâce à une collaboration entre Keraunos, François Paul (Climat-Energie-Environnement) et Jean Dessens (Anelfa).

Analyse de la situation météorologique

La tornade de Fagnières s'est formée en lien avec une supercellule moteur droit, qui a évolué au sein d'un rapide flux de sud à sud-ouest, à l'avant d'un front ondulant actif, dans un contexte à la fois fortement cisaillé et instable.
Ainsi, les réanalyses mettent en évidence la présence d'un vaste et profond thalweg d'altitude en ce 17 mai 1971, étiré depuis l'Ecosse jusqu'au Portugal. Il pilote un flux de sud contrasté et rapide sur la France, avec une configuration d'entrée droite bien diffluente, dont la portion la plus dynamique remonte du sud vers le nord au fil de la journée pour atteindre les régions du quart nord-est en fin d'après-midi et en soirée :




Au sol, un complexe dépressionnaire est en place sur le nord de l'Afrique et l'ouest de l'Europe. Il assure une convergence persistante le long d'une limite frontale qui vient onduler dès la veille de l'Aquitaine au Centre et au Nord - Pas de Calais. Ce front ondulant se réactive le 17 mai en journée depuis la région toulousaine jusqu'au Limousin au Centre et au Nord, avec de fortes pluies et des orages épars. Mais c'est à l'avant, dans un secteur chaud bien alimenté en chaleur et en humidité (hautes valeurs de thêta'w à 850 hPa), que la convection sera profonde et fortement orageuse en fin de journée :



Afin d'analyser plus en détail les mécanismes à l'oeuvre, le modèle WRF-ARW de Keraunos a été utilisé en configuration "reforecast" à haute résolution (3 km) ; cette technique a permis de travailler à des échelles très fines et de reconstituer cet épisode du passé dans des conditions proches de la prévision opérationnelle actuelle. La modélisation confirme notamment que l'ensemble du secteur chaud positionné à l'avant du front ondulant est fortement instable. On note ainsi des valeurs de MUCAPE qui avoisinent 2.000 J/kg entre Champagne et Lorraine durant l'après-midi, associées à des MULI proches de -6 K :



La conjonction de cette forte instabilité avec des cisaillements qui s'accentuent de la vallée du Rhône aux frontières allemandes en deuxième partie de journée (SRH 0-3 km souvent supérieure à 400 m²/s²) génère un potentiel supercellulaire marqué sur les régions du quart nord-est notamment (voir ci-dessous à gauche). De fait, c'est dans la zone de contact entre cisaillements, instabilité et forçages les plus marqués que la convection se déclenche avec virulence. Le modèle voit ainsi plusieurs supercellules se former aux abords de la Lorraine en fin de journée (ci-dessous à droite), avec un fort potentiel de phénomènes tourbillonnaires, qui s'est concrétisé sur le secteur de Fagnières :



En savoir plus sur les tornades

+  consulter  la  liste des tornades en France
+  découvrir  la  climatologie des tornades en France