Observatoire français des tornades et orages violents

Tornade EF3 au Ménil-de-Briouze (Orne) le 8 mai 1923

Le 8 mai 1923 dans l'après-midi, une tornade de forte intensité (EF3) dévaste la forêt domaniale des Andaines (Orne) avant de poursuivre sa route en direction du Ménil-de-Briouze où plusieurs hameaux sont sévèrement atteints et plusieurs personnes blessées.

La tornade du Ménil-de-Briouze s'inscrit dans un outbreak de tornades (épisode de tornades groupées) qui totalise 2 cas pour la journée du 8 mai 1923, dont la tornade EF2 de Tremblay (Ille-et-Vilaine) survenue trois-quarts d'heure plus tard.

Principales caractéristiques de la tornade

Localisation de la tornade EF2 du Ménil-de-Briouze (Orne) du 8 mai 1923* intensité maximale : EF3, soit des vents estimés entre 220 km/h et 270 km/h
* distance parcourue : 20,0 kilomètres (distance minimale certaine)
* largeur moyenne : 400 mètres

* communes traversées : JUVIGNY-SOUS-ANDAINE (D976) ; PERROU (le Gué Fouché, Rond de la Belle Arrivée) ; CHAMPSECRET (les Sept Frères, la Roche aux Dames, l'Ermitage) ; LA SAUVAGÈRE (la Noë de Livet) ; LA COULONCHE (le Gué Babin, la Mondrie) ; LA SAUVAGÈRE (l'Astière, le Parc) ; LE MÉNIL-DE-BRIOUZE (la Percière, le But, la Morière, Longuenoë, Arthan) ; LIGNOU (la Rabasserie, l'Abbaye, la Coëpaudière, les Communes)
* département : ORNE (61)
* altitude moyenne du terrain : 250 mètres
* type de terrain : territoires agricoles, forêts et milieux semi-naturels

* principaux dégâts : des milliers d'arbres fruitiers arrachés, brisés, fendus, transportés à distance ; chêne déraciné élevé en l'air en tournoyant et retombant quelques mètres plus loin ; pommier arraché retombant et restant droit, les racines en l'air ; environ 60 000 arbres (300 Ha) de toute nature et de toute taille abattus dans la forêt des Andaines, certains conifères présentant un aspect dépouillé ; des dizaines de dépendances et d'habitations (parfois faites de torchis) détruites ou effondrées avec débris emmenés à distance ; charpente entière traînée sur 200 mètres ; linge retrouvé à plusieurs kilomètres ; une partie de toiture avec poutrelles et voliges, emportée à près d'un kilomètre ; voitures de caravanes d'un cirque disloquées, brisées ou transportées à travers champs à 200 mètres ; une cabane de bûcheron emportée

NB : l'intensité des tornades est déterminée sur l'échelle EF augmentée (English version) . Cette version de l'échelle EF, élaborée et mise en place par KERAUNOS depuis 2009, ajoute aux critères américains une série de spécificités propres à l'habitat européen et permet ainsi une notation précise des tornades, valable autant pour les tornades contemporaines que pour les tornades du passé, et homogène internationalement.
  

Trajectoire de la tornade

AA

Une tranchée de 300 hectares dans la forêt des Andaines

La tornade du Ménil-de-Briouze du 8 mai 1923 est associée à une dégradation orageuse d'une ampleur exceptionnelle sur cette partie de l'Orne. Selon toute vraisemblance, une structure de type supercellulaire a transité sur le département entre Mantilly et Vimoutiers, en passant par Domfront, Champsecret, le Ménil-de-Briouze, les Yveteaux, Montabard et Trun, soit sur un parcours d'au moins 80 kilomètres.
 
Sur une bande de terrain large de 2 kilomètres environ, les territoires traversés par cette cellule orageuse virulente sont dévastés par de très gros grêlons, dont la masse atteint fréquemment 200 à 500 grammes, voire davantage. Certains mesurent entre 8 et 9 cm de diamètre. Dans la campagne, les récoltes sont hachées et les arbres fruitiers dégarnis. Un nombre considérable de maisons ont leurs toitures perforées et leurs vitres briséesA Domfront, ville la plus atteinte, des grêlons auraient pesé jusqu'à 720 grammes, ce qui doit correspondre à des diamètres supérieurs à 10 cm. Les dégâts sont innombrables dans la ville (toitures, serres, cultures) et estimés à 1 million de Francs.

En bordure Sud-Est de cette cellule, un axe venteux - majoritairement épargné par la grêle - est identifié entre Perrou et les Yveteaux, soit sur une distance de 26 kilomètres. La nature tourbillonnaire des vents est confirmée sur un parcours de 20 kilomètres, principalement entre la forêt des Andaines et le territoire du Ménil-de-Briouze. Cette trajectoire a pu être identifiée à l'appui de très nombreux témoignages, d'une médiatisation exceptionnelle dans la presse locale, et par une reconnaissance de terrain menée par le service des Eaux et Forêts suite à l'événement.

Les premiers dégâts de nature tornadique peuvent être, à ce jour, identifiés le long de la route de Juvigny près de Perrou, où quatre voitures d'un cirque ambulant sont disloquées, détruites ou emportées à travers champs à 200 mètres. Environ quinze personnes sont plus ou moins contusionnées. La tornade, après avoir dévasté un hameau de Perrou, entre dans la forêt domaniale des Andaines, par le Rond de la Belle Arrivée. Sur une largeur de 300 à 500 mètres en ligne droite, les cantons des Sept Frères, de la Roche aux Dames, de l'Ermitage et de la Noë de Livet sont successivement traversés. On estime à 60 000 (environ 300 hectares) le nombre d'arbres abattus, brisés ou dépouillés pour certains.

En sortant de la forêt, la tornade poursuit ses ravages en traversant des lieux-dits et des fermes habitées de la Coulonche, de la Sauvagère, du Ménil-de-Briouze et de Lignou, au sein d'un couloir dont la largeur varie entre 200 mètres et 700 mètres. Au Gué Babin (la Coulonche), deux enfants sont ensevelis sous des décombres d'une maison effondrée, mais ils sont secourus à temps par les gendarmes. A Longuenoë (le Ménil-de-Briouze), plusieurs maisons ou constructions en torchis sont en partie détruites ou rasées et des débris de toitures sont retrouvés, avec leurs charpentes, à plusieurs centaines de mètres. Au passage à niveau d'Arthan, la toiture de la maisonnette de la garde-barrière est arrachée et dispersée ; la garde-barrière est contusionnée par l'effondrement du plancher.

Après avoir traversé Lignou (la Rabasserie, l'Abbaye, la Coëpaudière, les Communes) en produisant les mêmes ravages, la tornade semble se dissiper, car les dégâts venteux signalés à Saint-Hilaire-de-Briouze (le Fonteny, la Huvetière) ainsi qu'au château des Yveteaux présentent un aspect nettement plus diffus.

Les dommages consécutifs à cette tornade relèvent régulièrement d'une intensité EF3, en raison notamment de projections remarquables à distance. On cite un chêne déraciné, élevé en l'air en tournoyant, et retombant quelques mètres plus loin ; un pommier arraché, transporté entier par la tornade et littéralement planté au sol, les racines en l'air ; une charpente entière traînée sur 200 mètres ; du linge retrouvé à plusieurs kilomètres ; une partie de toiture avec poutrelles et voliges, emportée à près d'un kilomètre.
 
Au total, la tornade blesse une vingtaine de personnes, mais plusieurs animaux de ferme sont tués. A ces victimes, s'ajoutent de nombreux blessés atteints par la grêle : tel est le récit d'un homme qui présente un bleu large comme une pièce de deux francs sur le dos de sa main.
 
Les photographies ci-dessous, de la propriété de Keraunos, montrent l'importance des dégâts, tant sur la forêt des Andaines que dans la campagne environnante:
 


Un outbreak remarquable mais localisé dans l'Ouest

Les tornades de Tremblay et du Ménil-de-Briouze prennent part à une dégradation orageuse remarquable, principalement dans l'Ouest de la France où la Bretagne et la Normandie sont les régions les plus durement touchées. En plusieurs points des Côtes-d'Armor et de la Manche, on signale notamment des inondations causées par des pluies orageuses diluviennes.

Mais c'est sans conteste en Ille-et-Vilaine et dans l'Orne que la dégradation orageuse est la plus remarquable. Un premier axe orageux virulent, qui prend naissance dans la région de Rennes, provoque des chutes de grêle destructrices entre Domloup et la Bouëxière vers 15 heures locales. Cet axe prend ensuite la direction de Fougères, puis probablement du Nord de la Mayenne et de l'Orne, avant de provoquer des chutes de grêlons exceptionnelles à Domfront (16h30 locales), une tornade d'intensité EF3 au Ménil-de-Briouze (17 heures locales), puis de nouvelles chutes de grêle destructrices entre Trun et Vimoutiers (18 heures locales). Selon toute vraisemblance, cet axe orageux a pu évoluer en structure de type supercellulaire a minima dans l'Orne, si l'on analyse précisément la répartition des zones dévastées à la fois par le vent et la grêle, et leur niveau d'intensité.

Un second axe orageux virulent, qui se déclenche entre 17h30 et 18 heures locales au Nord de l'Ille-et-Vilaine, est exclusivement marqué par des dégâts venteux sur une bande de terrain large de plusieurs kilomètres. Au sein de cet axe, une tornade d'intensité EF2 est observée dans la région de Tremblay. Plusieurs communes situées en périphérie Sud sont également sinistrées par le vent. L'hypothèse d'une structure de type supercellulaire HP est rendue possible après analyse de la répartition des dégâts venteux, de la reconstitution chronologique de l'événement, et du contexte météorologique qui prévalait le 8 mai 1923 (voire analyse ci-après).

Carte synthétique des principaux événements météorologiques survenus entre l'Ille-et-Vilaine et l'Orne durant l'après-midi du 8 mai 1923 (en bleu : chute de grêle remarquable, en jaune : axe venteux, en rouge : tornade).

© Keraunos (fond de carte : Google Mymaps)

 

Analyse de la situation météorologique

La situation météorologique du 8 mai 1923 a pu être reconstituée à partir des données du programme de réanalyses ERA-20C du Centre Européen de Prévision (résolution 125 km)  et du programme "20th Century Reanalysis" mené par la NOAA, l'ESRL et le PSD (résolution 100 km). Les données fournies par ces programmes permettent de reconstruire par modèle les conditions météorologiques à tous les niveaux de l'atmosphère à partir d'un nombre restreint de données d'observations. Les résultats sont certes à considérer avec une certaine prudence compte tenu des périodes reculées auxquelles ils s'appliquent, mais ils présentent un degré de fiabilité élevé qui permet une reconstruction pertinente de la plupart des épisodes météorologiques majeurs des 150 dernières années.En complément, afin d'analyser plus en détail le contexte de méso-échelle, le modèle WRF-ARW 3 km a été déployé en version « reforecast » et initialisé sur ERA-20C avec les conditions du 07.05.1923 18Z. Dans le cas présent, la simulation obtenue présente une forte cohérence avec les observations réalisées à l'époque et fournit donc un scénario sans doute très proche de la réalité.

Il ressort de ces analyses que le nord de la France se trouve soumis, le 8 mai 1923, à un flux de sud-ouest rapide et divergent, à l'avant d'un profond thalweg d'altitude, dans une configuration simultanée de sortie gauche - entrée droite de jet (voir ci-dessous à gauche l'analyse à 250 hPa, soit vers 10.000 mètres d'altitude). On note, de manière classique dans ces situations, la présence à l'étage moyen d'une goutte froide (-22°C à 500 hPa, soit vers 5.500 mètres d'altitude), au large du Portugal (ci-dessous à droite).



Au sol, un creux dépressionnaire, présent depuis la veille dans le Golfe de Gascogne, migre vers la Bretagne durant la journée du 8 mai tout en se creusant (ci-dessous à gauche). La convergence induite en basses couches se concentre principalement le long d'un axe Bretagne - Normandie - Nord Pas de Calais en cours d'après-midi et de soirée. Les forçages associés se produisent à l'avant d'un front froid, situé plus au nord sur les îles britanniques, et donc au sein d'un secteur chaud bien alimenté en air tropical chaud et humide, comme en témoignent les thêta'w > 15°C à 850 hPa (ci-dessous à droite).



C'est ainsi un contexte à la fois très dynamique et très instable qui concerne le nord-ouest de la France. L'analyse détaillée réalisée avec le modèle ARW met en évidence des valeurs de MUCAPE qui dépassent localement 2.000 J/kg sur ces régions en cours d'après-midi (ci-dessous à gauche). La présence d'un jet à 700 hPa de secteur SSO produit des cisaillements et une hélicité relative marquées là où ce jet surplombe la zone de convergence qui s'étire alors de la Bretagne à la Normandie (SRH 0-1 km souvent comprise entre 150 et 200 m²/s² ; voir ci-dessous à droite) :



L'ensemble produit un environnement propice au développement de violents orages et de tornades sur ces régions. Le potentiel tornadique est tout particulièrement marqué sur le flanc nord de la zone de convergence, comme en témoignent les indicateurs ci-dessous :



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